Elle lui demande : comment tu décrirais l’acte d’écrire, toi ?
Il n’en sait rien vraiment.
Il y a des ratures, il lui dit comme ça. Ça rate souvent. Je ne saisis jamais si je rate ou si le texte rate. Le résultat, peut-être, surgit identique : c’est raté. Pas illisible, mais à la lecture, ça sent le raté, comme l’odeur d’un gâteau brûlé quand on est dans une autre pièce. C’est le signal qu’on a merdé. Mais je ne sais jamais vraiment si, par exemple, mon pif n’invente pas cette odeur… Après, il faut faire lire ou lire à haute voix. Il y a encore des risques que ça rate. Il y a des chances pour que ça prenne. Pourquoi tu demandes ?
Comme ça, elle répond. Je me demandais. J’ai pensé ton écriture comme intime.
Moi, à ma lecture, je ne me dis rien sinon c’est sûr, je rate. Rater s’approche de ratures. Je rature beaucoup mes textes. Sauf dans mes journaux intimes, parce que derrière, en réalité, il n’y a rien ou pas grand-chose. Je ne peux me relire et me dire : tiens, c’est intime. Je suis un écrivain de l’intimité.
Les mots m’emplissent, me gonflent, m’accaparent, je ne pense qu’à eux, à cette définition que j’admire comme si elle incarnait la perfection et par là, moi, puisque je dois être l’écrivain de l’intimité. Là, pour sûr, je rate. Je ne suis pas à la hauteur de la perfection des mots.
Tu écris de l’imparfait, en quelques sortes.
Il se suspend au temps quelques instants, pour réfléchir.
Oui, je me forge cette raison, le style de Flaubert restera à Flaubert. Dieu sait que j’aurais voulu du style, pouvoir tailler dans la pierre du langage.
Mais pour moi, les mots… les mots sont vides, des sacs laissés à remplir, d’os, de tendons, de nerfs, d’organes, de tuyaux.
J’ai quitté l’appartement. J’ai erré dans paris. J’ai oublié des choses. Quoi ?
Noter. Mon carnet dans la poche de ma veste, carnet passeport, rien dedans. Page blanche sur page blanche. J’ai interrogé : l’angoisse de la page blanche me dévore-t-elle ? Regarde dans ma bouche, je tire la langue. Ça me dévore ?
J’ai pensé à écrire. Je n’ai pas écrit.
Écrire, ce poisson.
L’amnésie, passagère, la perte d’imagination.
Avec ça, je n’ai plus rien. Je parlerai à ma compagne mais ce n’est pas pareil.
Perdre l’écriture.
J’ai lu Rilke. Rilke dit que la nécessité d’écrire prime sur l’écriture.
Perdre l’écriture, j’ai senti que mon identité se dilue sans l’écriture. J’ai erré dans Paris. Adieu les bars, adieu l’alcool, adieu les enivrés et les bienheureux.
La vie serait douce sans l’écriture. Malheur : j’y ai gouté dans mon enfance, elle est le fil de mes coutures.
Aujourd’hui, ailleurs, partout, j’écris.
Ma compagne me lit.