Aveuglement

Et si je devenais aveugle ? Vraiment. Pas juste aveuglée.

Peut-être que si tu devenais aveugle, tu commencerais à voir ce qui est en face de toi au lieu de ressasser le passé. Penses-y, Alma.

L’obscurité se fait sur ton regard, pourtant tes paupières sont ouvertes. Tu captes un halo diffus, tu ne sais plus te repérer dans l’espace. Trop occupée à essayer de mettre un pied devant l’autre sans te cogner partout, tu oublies de penser à ce que tu as raté, ce que tu prends pour des échecs. Ce qu’il aurait fallu dire, ou faire, pour changer les choses. Tu ne sauras jamais, il est trop tard.

Les yeux révulsés, braqués sur des instants perdus, tu marches à reculons depuis tant de temps. Tu ne vois les autres qu’après les avoir heurtés, une fois que tu les as dépassé, car eux marchent de front et ne se soucient plus de toi.

Si tu devenais aveugle, on dirait sûrement que rien ne va plus dans ta vie.

Moi je crois que tu apprendrais à marcher, les bras tendus pour accueillir la vie au lieu de te cogner contre elle. Doucement, un pas après l’autre. Tu sentirais la différence entre la rosée et le crépuscule en humant le fond de l’air. Tu écouterais chaque intonation, chaque inflexion de voix pour dessiner les visages en mouvement, en face de toi. Tu apprendrais du bout des doigts les lignes, les creux, tous les reliefs, les textures, les battements du sang qui pulse sous la peau de l’amoureuse. Tu connaitrais la peur de tomber et la joie de sentir, tout près de toi, le parfum d’une alliée.

Si la nuit envahissait tes jours, n’oublie pas que le soleil continuerait de se lever, quelque part derrière tes paupières.

Si tu deviens aveugle, ne pense pas que personne ne te voit.

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