Cicatrice

Mon répondeur sature de voix.

Mon grand-père me demande si je me souviens de Claude.
Il est mort.
C’était un monsieur chauve ?
Il rit un peu.
Oui, c’est vrai, on peut dire qu’il était chauve.

C’est cet instant d’absence physique,
que la voix raccroche au réel
quand elle énonce les mauvaises nouvelles
à travers le téléphone.

J’entends en mégaphone l’émotion, plus souvent la tristesse, car la voix tombe et plombe l’espace acoustique dans lequel je suis tout entier immergé.

Après une fête trop alcoolisée, je sombre dans l’oubli,
et le lendemain, une vie change et la mienne
par son intermédiaire.

Dans les rues de Paris, la mort prend la forme de pigeons écroulés sur le bitume.
Je n’ai jamais vu la mort prendre tant de formes.

Mon grand-père me demande si je me souviens de Claude.
Il est mort.
C’était un monsieur chauve ?
Il rit un peu.
Oui, c’est vrai, on peut dire qu’il était chauve.

Les bras ballotent, parce que je ne me souviens que de son crâne, et aussi de sa grandeur. Je ne me souviens pas de qui il était dans ma famille, je suis obligé de demander, légèrement honteux, à mon cousin.

C’est ceci, les quarante trois ans, mais ça peut tout aussi bien être mes trente.

Le temps passe, le printemps s’annonce.

Comment capturer le présent ?

Pourquoi le noter ?

Comme les voix sur les répondeurs nous ramènent à l’existence.

L’instant c’est la voix au téléphone qui annonce comme dans un mégaphone les mauvaises nouvelles.

La voix pleine de tristesse au téléphone me semble plus audible, presque comédienne, dans le sens qu’elle véhicule avec intensité.

Peut-être parce que nous sommes là sans y être, c’est-à-dire seul. Comme à la pêche ? Je n’ai jamais pêché, je ne sais pas.

Ecrire la mort dans l’annonce d’un printemps, c’est beau.

Moi, la mort, en ce moment, je la rencontre dans les rues de Paris. Des pigeons écroulés sur le bitume, chacun dans une position grotesque et unique.

Et personne dans mon entourage ne rencontre ces figures dans les rues de Paris.

Je ne sais pas si ce sont des présages, mais le réel a un drôle d’humour.

Je déteste le sang, les plaies, les blessures, les corps.

Je découvre l’intérieur et le squelette des pigeons.

C’est toujours une surprise, parce que mon regard se balade en haut, en bas, à gauche, à droite, en zigzags, en lignes brisées et paf.

Un pigeon sans vie.

Peut être que je parle de Claude aussi, vraiment, le temps passe et comment vivre, mais vivre réel, pas vivre le vrai, je ne sais pas pourquoi, mais le vrai se différencie du réel mais s’il peut être vrai, je me dis ça.

Je ne sais pas ce que veut dire vrai. Comme pêcher. Je ne sais pas ce que ça veut dire.

Sarah Raphaëlle a dit que le décompte ricane. Je ne crois pas que le bout soit une blague, même si le sens s’échappe à la Camus, façon absurde.

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