Euphorie

Zélie ouvre un œil lourd. Aspirée dans le skaï poisseux d’un fauteuil défoncé, elle tente de voir entre les poignards qui lui vrillent la rétine. La musique est encore forte et les ombres dansantes nombreuses. Sur les lattes du parquet, des flaques collantes et épaisses sèchent dans l’indifférence.                                                                                                                                  Des dizaines de pieds tambourinent entre les mégots et les bouteilles vides. Zélie regarde le sol trembler, des larmes coulent, elle voudrait leur crier d’arrêter de piétiner son cerveau avec leurs échasses.

Elle peut juste bouger les yeux. Dans sa main crispée, un reste de joint.  Zélie sent sous sa langue de dix tonnes une acidité infecte. Où est passée Alix ? Elle l’a plantée au milieu de la fête, s’évadant tout en élégance. Zélie ne sait pas dire « stop » ou « non ». C’est toujours l’épouvante après l’euphorie. Ce soir tout est décuplé. Zélie essaye de se lever, mais rien ne bouge. Le mec qui lui a tendu le spliff ne lui a pas menti, elle est partie pour un trip éternel.

Cette pièce est devenue un vortex, et elle, dans son fauteuil le regarde tourner comme une machine à laver. Elle est devenue le fauteuil, elle est devenue l’espace, et elle peut voler. Elle voit les corps s’agiter en bas, tandis qu’elle transperce le toit de la maison. Elle distingue les lueurs rouges et minuscules des cigarettes reliant les visages comme une guirlande. L’air de la nuit sent le pin et l’eau fraîche, les orages de juillet ne sont pas loin.
Zélie survole le jardin, en bas les lumières s’affolent. Elle distingue Alix, essaye de l’appeler, mais sa bouche est mousseuse, inerte.

Il y a plein de monde dans la rue, Zélie voudrait s’éloigner du vacarme. Quelqu’un lui attrape la main, ou la tire vers le bas.

–  Si vous m’entendez serrez ma main, lui dit une voix.

La voix est bleue et rouge, comme un gyrophare.

Zélie ferme un œil lourd tandis que le camion démarre.

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