Le sourictus

« Oh mon Dieu, oh mon Dieu, oh mon Di-eu-eu!
Qu’il est beau, qu’il est mignon, qu’il est craquant, qu’il est trognon, qu’il est joufflu, qu’il est choupidou, patapouf, areuh, wow, meow, hiiiihouu! »
« C’est le portrait craché de son Pôôpa, il a son menton volontaire! »
« Mais non voyons, regardez là! »
« Ici? »
« Non, là-bas, Elise! Au coin de sa lèvre, il a la fossette rieuse de sa Môôman! »
Je bascule mon regard vers le gros bébé qui ressemble pour moi davantage à un gigot de sept heures qu’à un enfant et me retourne vers mes tantes :
« Ah..c’est vrai », dis-je passivement
Qu’il est laid (me dis-je à voix basse dans ma tête), mais qu’il ne faut pas que je le laisse transparaitre…
Allez, un petit effort, je vais tenter d’esquisser un petit sourictus, ce savant mélange de sourire et de rictus crispé dont j’ai le secret.
Ce sourictus faussement naturel que j’adopte lorsque Cricri, le gros lourdeau du bureau, oui, vous savez…Cricri! Ce fameux collègue qui appelle quotidiennement les femmes les « gonzesses » ou alors les « nanas », lorsqu’il se sent d’humeur un peu classieuse, celui-là même lorsqu’il nous raconte des blagues salaces qui ne font rire que lui en toute décontraction en se grattant les cuisses entre deux réunions, l’air de rien mais surtout d’un plouc.
Ce classique sourictus que je fige quand ma voisine Huguette radoteuse du 2ème étage me parle de son balcon d’herbes aromatiques, de sa verveine qui pousse mal ou de la paresse de Rico, son lézard apprivoisé…dont je me fiche, vraiment !
Ou encore ce sourictus bien particulier que j’esquisse lorsque la vieille folle de Belleville, toujours vêtue de son traditionnel manteau pourpre tâché, me récite ses poèmes loufoques en titubant, accoudée au comptoir de mon bar de quartier et me lâchant des phrases énigmatiques comme :
« La vie m’aime, moi aussi.
La vie mène,
Au lit bleu.
Je récite mes poèmes.
Je vis loin.
Loin du Maine!
Le lit est comment?
Bleu. »
Oui, allons, vous voyez…ce sourictus là!

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