Mon chien

Mon chien s’appelle Fleur dans la mousse. Il est élégant, d’un tempérament joyeux, je ne saurais plus me passer de lui. Qui l’eut cru ? Moi qui ai moqué toute ma vie les mémères-à-son-chien-chien, voilà que je suis devenu son pépère-à-son-chien-chien.
N’est-ce pas la preuve qu’un homme peut changer, se surprendre lui-même ?
Jamais je ne me suis défini comme un sans cœur, mais un sans chien, oui. J’ai pu me montrer pédant avec ceux qui s’accroupissent et prennent dans leurs mains leur petite boule de poils chérie, museau contre museau, et viens-là-que-je-te-gratte-l’échine, enfin bref, vous voyez le tableau. J’avais du mépris, un mépris silencieux mais tout au dedans, j’en balançais : Mais qu’il est con celui-là avec son clébard ! Quand j’y repense, je ris de moi. Ce snob, hautain, sûr de sa supériorité, c’était moi. J’étais l’ignorant, c’est tout. Un chien vaut mieux que deux types qui aboient, croyez-moi. Et un chien, ça vous cloue votre sale langue de vipère.
Bien sûr, à l’origine de ce changement radical, de cette prise de conscience, il y a la mort de ma femme. Un veuf consolé par son chien, je sais que ça peut sembler pitoyable. Et pourtant c’est ça l’incroyable : Fleur dans la mousse m’a sorti de mon désarroi complet. Elle m’a sorti de chez moi. Pour aller gambader, pisser, s’ébrouer dans les hautes herbes du sentier des Deux-Ponts. Elle tire sur la laisse et moi je suis. Elle me sort chaque jour de la mélancolie dans laquelle j’aurais pu m’enfoncer. Et quand je regarde sa joie, quand j’y assiste, je la remercie. C’est con, hein ?
Je ne vous demande pas de comprendre parce que moi, avant, j’aurais pas compris. Grâce à mon chien, je me tiens loin de l’enfer et je souris sincèrement, parce que c’est marrant un chien, ça se fout de tout, c’est libre, ça connaît pas les prés carré, ça n’exclut rien ni personne. Enfin, Fleur dans la mousse en tous cas. Avec elle, je gravis des montagnes en sifflotant. La vie est plus facile. C’est bizarre de réaliser qu’on a été un imbécile. Mais c’est intéressant. C’est instructif. Ça fait réfléchir à ses a priori. En fait, depuis la mort de ma femme, tous mes repères ont explosé. Avec Fleur dans la mousse, je reste sur terre. Qui sait, sinon, si je ne serais pas en train de manger les pissenlits par la racine ?
Vous m’avez écouté sans m’interrompre, c’est gentil à vous. A moins que vous soyez intéressé à prendre vous aussi un chien, mais que vous hésitiez ?
On est tous des voyageurs, monsieur. C’est ce que je crois. Inutile de déserter la vie, mon brave. Continuez, et surtout, dites-vous bien que c’est rien d’être con.

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4 réponses à Mon chien

  1. Aliette S dit :

    Merci pour ce joli texte, si vrai, aussi ! Il m’évoque un livre pour enfant bien sympathique qui s’appelle Le chien chien à sa mémère, de Agnès de Lestrade et Clothilde Delacroix, dans lequel on trouve aussi, si mon souvenir est bon, un pépère..
    Aliette

  2. Cécile C dit :

    Ah ah ! Je ne connais pas ce livre, mais je vais le chercher !
    Merci pour ta lecture et à bientôt !
    Cécile

  3. Emmanuelle P dit :

    Très joli texte, une ode à la relation homme-chien… je me reconnais aussi dans le personnage qui se moquait, par ignorance, du lien tellement fort entre un maître (une maîtresse) et son animal. Je préfère les chats. Depuis, j’ai appris. Et je suis plus humble.

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