Anouchka

Anouchka du haut de ses cinq ans, ne comprenait rien à l’agitation frénétique qu’elle observait autour d’elle, depuis quelques jours.

Les champs de pâquerettes resplendissaient cette année. Le parc près de chez elle, semblait enfoui sous la neige pâquerette. Les cerisiers étincelaient de blancheur. La nature renaissait dans les blancs doux et les roses pâles. Anouchka sautillait de joie en écarquillant ses yeux. Dans un autre temps, sa mère aurait partagé sa joie, pris sa main dans la sienne et elles auraient couru dans le parc s’emplir les yeux de ce spectacle énivrant de beauté.

Aujourd’hui, tout sonnait différemment. A l’instant sa mère lui avait demandé d’enfiler deux pulls et deux jupes et d’emporter sa poupée préférée. Aucun autre mot n’avait été prononcé. Sa mère d’habitude joyeuse et à son écoute avait un visage fermé et triste, des larmes avaient tracé des sillons sur son beau visage. Elle ne reconnaissait pas sa mère. Anouchka avait juste intégré qu’elle devait obéir. Elle s’était figée devant la fenêtre du salon en sachant dans son intimité de petite qu’elle ne reverrait pas son champ de pâquerettes et ses cerisiers en fleurs. Un grand changement s’annonçait. Des mots roses ne seraient pas dits. Elle regardait les adultes se presser, aller d’un bout de l’appartement à un autre. La valise noire en cuir défraichi des grands voyages était ouverte dans le salon. Sa mère et son père y déposaient des objets hétéroclites et inadaptés : une cafetière italienne, deux livres de contes ukrainiens, des bijoux, quelques vêtements, un kilo de sucre, des photos et des larmes. Le départ était imminent. Sa mère avait juste réussi à lui dire qu’ils partaient dans la voiture de l’oncle Dimitri. « C’est la guerre ma chérie, nous partons ». Anouchka avait saisi qu’elle devait se taire, rapetisser et entasser dans sa tête des centaines d’images pour le voyage, pour demain pour son avenir. Elle, la petite intrépide, elle avait mué en petite souris sage. C’était la posture qui convenait, elle le savait. Anouchka ne comprenait pas mais elle intuitait que l’heure était grave.

Elle avait demandé aux cerisiers et aux pâquerettes de partir avec elle. Anouchka avait senti qu’ils étaient d’accord. Elle les emportait avec elle. Cette beauté, ses souvenirs blancs, personne ne pourrait lui retirer, même si elle quittait pour toujours sa patrie.

 

J'écris depuis mon adolescence...comme beaucoup j'ai tenu un journal intime puis j'ai écrit des poèmes puis des textes et quelques petites nouvelles. J'adore lire depuis que je sais lire . Les livres furent mes premiers amis .

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