Autrefois, demain était un merveilleux projet

Autrefois, demain était un merveilleux projet

Quand je serais grande…

Quand j’aurais enfin progressé, comblant les vœux quotidiens de mes parents et de mon peuple de docteurs et rééducateurs, je gravirais ces montagnes qui aux autres sont vaguelettes sur un trottoir,

je tiendrais ma cuiller à l’endroit ; je couperais ma viande et lacerais mes souliers ; je tracerais des signes identifiables, un bonhomme entier, une lettre majuscule, une ligne d’écriture ; ma voix sortirait de ma bouche sans se contorsionner, droite comme une fumée monte dans le ciel calme ; je prendrais appui sur mon genou à terre pour me hisser debout, mes yeux enfin à la hauteur des autres yeux ; laissant derrière moi les chaussures à montant, les attelles maladroites, les cannes tripodes et le fauteuil à quatre roues, je marcherais ! Un pas, puis l’autre, progression déliée, harmonieuse ; je traverserais la piste et prendrais part à la danse !

Je l’ai rêvée, cette danse !

Je les ai imaginés, ces lendemains !

Mais plus ils avançaient vers moi, plus ils perdaient en couleur, en force d’étonnement.

Je suis grande maintenant. J’en ai fait, des efforts, appliquée à suivre le rythme de cette progression insistante, brandie devant mes yeux comme la carotte au museau de l’âne !

Je voudrais encore y croire.

Croire à une vie-amie, qui se plie à mon corps cabossé, efface les marches assassines, rabote les trottoirs, élargisse les portes, toutes les portes !

Oui, je me le jure, demain, je trouverai la vie-amour qui me prendra sans exception : le corps assis, cabossé à vos yeux, mais l’esprit debout, comme je suis, tout entière flamboyante, pleine de ma joie – colère brandie comme une invitation.

 

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Une réponse à Autrefois, demain était un merveilleux projet

  1. Sylvie W dit :

    Et bien, comme d’habitude Aliette, ton texte est très évocateur. Ce monologue au JE est puissant.

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