Cadaques

Trois petites maisons de pêcheurs nichées l’une contre l’autre. Le vent du large par la fenêtre. Des barques au loin. Ils sont arrivés depuis un mois.. lui, il a acheté une première maison, la plus basse, la plus trapue avec une fenêtre horizontale. Tout autour des cactus en fleurs, des lauriers roses, des bougainvilliers gorgés de soleil. Elle a quitté un autre homme pour le suivre. Elle ne sait pas trop si elle a bien fait.. elle hésite, dort mal, se pose mille questions, trop de questions. Lui, il est beaucoup plus jeune qu elle et très amoureux, amoureux fou. Enfin c’est ce qu’il clame dans sa grandiloquence un peu ridicule. Il veut construire pour elle, il veut peindre pour elle, inventer, recréer pour elle. C’est sa muse, il la rendra célèbre. Tout ça amuse ses amis et surtout les pêcheurs de Port Llotat  qui l’observent quant elle marche sur la plage en jupe à fleurs très large, ton sur ton avec les bougainvilliers, parée de tous ses bijoux. Impossible de faire du vélo avec une jupe pareille. De toute façon, ici, tout est en pente ! Ils canotent dans la baie sous l’oeil Un peu goguenard des femmes de pêcheurs qui scrutent le large pour conjurer le sort. Mais enfin, lui, c’est quand même un enfant du pays!Elle, elle déteste les hirondelles et leur vol en piqué , elle déteste le cri suraigu des goélands. Elle n’aime ni les balades  dans les champs ni les déjeuners au bord de l’eau. Pour  elle il est prêt à tout mais pas à abandonner la Catalogne, ses racines. Plus tard il achètera deux autres maisons qu’il fera relier entre elles sans jamais les défigurer

Parfois elle pleure et il est aux abois. Souvent elle réussit à dompter ses propres dragons alors il peut s’enfermer dans son atelier. Il a plein d’idées, toujours plus d’idées, sa créativité n’a pas de limites. Elle,  ça l’éblouit. Il traficote, assemble, lie , délie, recompose, accumule, repense, contraint, déforme .Rien ne lui résiste. Il achètera des oiseaux empaillés et un ours brun qui montera la garde dans l’entrée. Petit à petit la maison leur ressemblera, étrange, inattendue, délicate, baroque, pleine de pièces biscornues, de recoins dans l’ombre, d’ateliers sous la lumière zénithale et partout une ambiance d’ambiguïté et de malaise, un malaise indéfinissable qui incite à quitter les lieux sans regret.

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Une réponse à Cadaques

  1. Sylvie W dit :

    eh bien: on reste en équilibre instable jusqu’à la fin et même après!
    entre celle qui marche sur la plage parée de tous ses bijoux et celui qui achètera des oiseaux empaillés et un ours pour monter la garde dans l’entrée, ça donne un peu le frisson!!!! Bravo

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