Dans le courant du fleuve

D’abord, il y eut les rêves.

Dans l’eau, une déferlante l’avait séparée de sa sœur dont la silhouette élancée, la robe estivale, le sourire encore joyeux, la main soudain tendue avaient disparu à ses yeux.

Une autre nuit, une bande de rats marchant de côté comme des crabes avaient fait irruption dans leur chambre d’enfant et entrepris de monter à l’assaut de leur lit. D’un cri, elle avait bondi pour les chasser et s’était réveillée en sursaut.

Puis il y eut le téléphone, qui sonna avec insistance, cette ligne qui ne servait plus à rien depuis l’avènement de son téléphone portable. Non, ce n’était pas un message publicitaire, mais, comme un cri à ses oreilles, un appel des urgences.

Anéantie, elle prépara son sac, courut à la gare, acheta un billet, échangea avec un voyageur bienveillant sa place couloir contre la place côté fenêtre et, posant le front à la vitre, s’oublia dans la contemplation du paysage. Passée la face sombre des quartiers groupés contre les rails, le train entra dans la campagne, puis longea le fleuve dont il remonta longuement le cours ; le regard posé sur la face mouvante et miroitante de l’eau, elle revenait vers leur enfance, leurs vies distinctes et mêlées.

Plus tard, il lui aurait fallu déposer sur son corps la terre, la branche de laurier ; puis vider la maison, prudemment détacher son âme fracturée de chaque objet, le déposer dans un carton, s’en défaire.

Et maintenant, assise sur la digue, elle laissait le vif courant du fleuve passer sur ses pieds nus.

Longtemps elle resta immobile, dans le frémissement des roseaux.

Sur la rive opposée, lourd et puissant, un oiseau blanc prit son envol.

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