Effraction

Enfin seule

Elle s’approcha de la fenêtre protégée par un rideau épais, beige et rêche, qui dissimulait sa présence aux yeux des passants. Prudemment, elle jeta un coup d’œil par l’interstice entre les lourds pans de tissu. Le gel formait sur la vitre de petites étoiles translucides. Sous le ciel blanc, les mouettes piétinaient la surface blanchie du canal. Dans un trou ménagé dans la glace, des canards tournaient en rond. Si ça n’avait pas été dangereux, il lui aurait suffi d’entrebâiller un peu plus le rideau et de se pencher de côté contre la fenêtre froide pour apercevoir le clocher de l’église toute proche et son cadran, dont les aiguilles se mouvaient si lentement. Elle abandonna la fenêtre, fit un pas vers le lit et sortit son cahier de sous son oreiller. Les lignes de mots serrés les uns contre les autres s’appuyaient de temps en temps sur une barrière de ratures nerveusement tracées.

Chère Kitty

Le corps caché et l’âme dévoilée.

Un bruit. Elle releva la tête, écouta, se rassura. Reprit le fil de l’écriture.

Le carillon voisin retentit soudain, son chant frappé, cristallin et si familier l’envahit d’une joie triste qu’elle repoussa d’une phrase. Le crayon avançait vivement sur le cahier.

Un nouveau bruit. Puis un fracas, des coups martelés, les escaliers qu’on monte, une cavalcade, des vociférations, des cris.

Effrayés, les nuages s’affaissèrent sur les toits de la ville, s’effilochèrent, étendirent une brume épaisse sur les rues, étouffèrent les voix, le bruit des bottes et des moteurs.

Un fourgon s’éloigna, puis un autre.

De l’autre côté du canal, les fenêtres curieuses laissèrent retomber leurs rideaux.

Le carillon reprit son chant léger, délicat, harmonieux et si familier.

Ce contenu a été publié dans Atelier Buissonnier. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire