Les trois chats noirs

Elle parle au téléphone. Elle parle toute la journée à ce petit objet noir et brillant qui sonne et la relie au monde.

Claire est enfermée dans son monde. C’est elle qui a décidé de vivre seule à la campagne. Une idée farfelue ! Son idée !

Un soir, dans la rue des Abbesses, elle s’est arrêtée, momifiée, statufiée. Le visage blême, Claire déchira en confettis son Télérama chéri qu’elle envoya dans le caniveau et aux pieds des passants ahuris. Qu’avait cette femme élégante, vêtue d’un tailleur noir et chaussée d’escarpins ? Après cette pluie de papier, Claire se déchaussa et s’effondra sur un banc providentiel, ses yeux bleu lavande dans le vague et se mura de longs jours dans un silence abyssal. Sa quête de loisirs effrénée suspendue, son énergie légendaire avait disparu. Statue de sel antique. La femme mondaine n’était plus. Exit la citadine dont la vie pouvait se résumer aux films et aux expositions qu’il fallait absolument avoir vus.

Son costume de parisienne envolé, Il ne restait plus que le tailleur noir et le chemisier de soie blanche. Une voisine l’aperçut, visage blafard, regard hagard, elle comprit l’urgence. La belle fut portée chez elle dans un état de quasi-inconscience. Alitée pendant quelques semaines, aucun mot ne sortit de ses lèvres closes. Puis un matin, elle décida d’habiter la maison de sa grande tante en Auvergne. Elle voulait vivre sans distraction, sans journaux, sans superficialité, seule, au milieu des prairies et des bois.

Son entourage, accepta sa décision. Le médecin avait décelé une dépression profonde.

Claire sembla heureuse dans sa nouvelle vie sans horaires, sans contraintes. Elle se lava peu, mangea à des heures incongrues, enlaça des troncs d’arbre et marcha des heures hors des chemins balisés sans jamais se perdre, un sourire éclatant sur son visage rosi par les frémisses des premiers froids.

Au bout de quelques semaines, le lien social lui manqua, Claire téléphona à sa grande amie Eléonore. Cet objet devint le compagnon de sa solitude choisie, elle envisagea de rester en Auvergne.

Feu la parisienne !

Chaque soir, les trois chats noirs traversent le jardin et s’installent au bout de la terrasse. Seuls face à la Nature. Ils admirent l’immensité des plaines, la démesure du ciel. C’est un cérémonial sacré ; l’attente du coucher du soleil.

Quand le soleil disparait, les chats s’ébrouent sans se soucier de l’autre et repartent vers d’autres lieux où dormir tranquilles.

 

J'écris depuis mon adolescence...comme beaucoup j'ai tenu un journal intime puis j'ai écrit des poèmes puis des textes et quelques petites nouvelles. J'adore lire depuis que je sais lire . Les livres furent mes premiers amis .

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2 réponses à Les trois chats noirs

  1. Aliette S dit :

    Merci Catherine pour ce texte de rupture et de renaissance !
    Bonne année d’écriture
    Aliette

  2. Emmanuelle P dit :

    Les Auvergnats apprécieront l’hommage à leur région. Trêve de plaisanterie. Je trouve que l’injonction aux sorties est bien décrite, avec la pression qui peut en découler. Comme si la vie parisienne obligeait à visiter les meilleures expositions et visionner les films applaudis par la critique. L’Etre se perd. La rupture, comme l’écrit Aliette, devient impérative, et salvatrice. Ce texte fait écho à mon rapport aux critiques lues dans la presse spécialisée. La culpabilité si je ne vais pas assister à un spectacle adulé, ou le doute lorsque j’abandonne la lecture d’un ouvrage primé.

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