Tsunami

Yoshido avait alors presque cinq ans. Cet après-midi là il jouait devant la maison avec son cerf- volant neuf. Le souffle tiède du vent emportait le dragon rouge haut dans le ciel. Dans la cuisine sa maman, Kasuko, préparait le repas en écoutant la radio. Soudain elle poussa un cri, courut chercher le bébé dans son berceau et empoigna la main de Yoshido. L’enfant n’eut pas le temps de s’étonne de cette inhabituelle brusquerie. Kasuko hurlait « on court Yoshitchan, on court » . Est- ce que c’était un jeu ? Il n’a pas eu le temps de formuler la question. Le bébé s’est mis à pleurer. Sa maman courait si vite qu’il avait l’impression voler. Ses pieds lui font mal, il a perdu ses chaussures. Lui aussi a envie de pleurer mais il faut avancer, vite, de plus en plus vite. Entre les arbres, sur la pente qui mène à  Kawara, d’autres habitants de son village courent aussi, certains crient et il ne comprend pas ce qu’ils disent. Sur le sentier le plus escarpé s’agitent aussi les marmottes, les chiens, les chats et les chevreuils. Les oiseaux, eux, se sont tus. Son cœur bat trop fort, il étouffe, sa poitrine, sa gorge le brûlent. Il essaye de regarder sa mère «  cours,Yoshido, cours, vite, vite ». Il tombe, sa mère le relève, l’arrache au sol sans ménagement. Il a l’impression qu’ils sont nombreux maintenant. Une douleur affreuse lui déchire les orteils, il veut s’arrêter, mais un jeune homme qui grimpe la pente à leur côté saisit sa main droite et le soulève. Il essaye de libérer sa main , le garçon la serre plus fort. Enfin le sommet de la colline, tous se sont jetés à terre, toussant, crachant, soufflant, épuisés, le visage en feu. Sa mère le serre contre elle, des larmes ruissellent sur ses joues, elle l’empêche de se retourner mais il se dégage et lorsqu’il regarde vers son village, il n’y a plus rien que de l’eau. Le temple shintô flotte sur une maison arrachée. Le tsunami a tout englouti, le château, l’école et le distributeur de coca cola tout neuf.

lorsqu’aujourd’hui il marche sur les plages de Normandie, Yoshido n’est jamais vraiment serein et jette parfois un regard inquiet vers l’horizon immobile.

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Une réponse à Tsunami

  1. Sylvie W dit :

    Quel beau texte. Comme d’habitude, tu nous emmènes sur les chemins de ton histoire; on se joint aux personnages, on vit ce qu’ils vivent. C’est puissant. sylvie

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