Au Peigne fin

Au Peigne fin, le coiffeur, un vieil homme petit et chauve, s’ennuie. Sur son petit carnet vert, il a tracé deux bâtonnets, deux clients depuis l’ouverture. Il savait bien, que le dimanche n’était pas un bon jour. Sa femme, Rachel, insistait depuis quelque mois : « Ouvre le dimanche, tu seras le seul dans le quartier, tu feras le plein de clients ».

Rachel par ci, Rachel par là. Elle avait souvent raison alors, en mari docile. Il avait obtempéré, il ouvrirait le dimanche tout en se questionnant sur le bienfondé de cette lubie féminine.

Peut être souhaitait-elle être seule dans la maison, inviter ses amies à boire le thé  et papoter des heures sur les travers des voisins, sans Ahmed dans ses pattes.

Insidieusement quarante années de vie commune avaient terni l’enthousiasme du début de leur histoire.  Un besoin d’air frais, de liberté, envahissait Rachel. Ahmed avait noté quelques changements chez sa femme ces derniers mois. Rachel avait commencé un nième régime d’amaigrissement et cette fois les effets étaient visibles.

Récemment, une femme se tenait devant sa vitrine. Ahmed s’était interrogé ? Qui était cette femme adossée à son magasin ? Il était sorti, les ciseaux à la main, l’œil inquisiteur et avait reconnu sa femme ! Il avait bredouillé une excuse et était rentré tout piteux dans son échoppe. Il n’avait pas reconnu l’allure de Rachel !

Elle avait changé de parfum, avait quitté son insipide robe noire et osé des couleurs  chatoyantes. Ma foi, disait Ahmed à son miroir en se rasant, elle a rajeuni. Il avait noté un air coquin inhabituel qui l’effrayait. Qu’était -t-il arrivé à sa femme, trop sage et de plus en plus terne au fil des années. Ce questionnement durait les cinq minutes accordées à son rasage matinal , puis il oubliait Rachel. Ses clients l’attendaient et en artisan appliqué et impliqué il écoutait les histoires de chacun.

Cependant, il se questionna plus que de coutume, ce premier dimanche travaillé.

Que se passait-il dans sa tête ? Quel esprit malin l’avait transformé ?

Leurs enfants avaient quitté le nid  depuis longtemps. Ahmed se souvenait des vagues de tristesse qui avaient laissé des marques sur le visage de sa femme. Il n’y avait pas attaché trop d’importance. Pour Ahmed, Rachel gérait l’absence, lui assurait les revenus. Un accord tacite entre eux.

Ils vivaient côte à côte depuis si longtemps qu’Ahmed n’imaginait pas une autre vie que celle là. Il aimait coiffer, couper, gominer, écouter ses clients, participer à la vie du quartier. Ils avaient atterri dans ce lieu populaire des Lilas à leur arrivée en France. Pourquoi changer ?

Tout le quartier savait que Le Peigne fin abaissait son rideau de fer tagué le samedi soir pour le relever le lundi matin. Aussi, c’était écrit que jamais Le Peigne fin n’aurait un client le dimanche !

Pourquoi Rachel changeait ?

Ahmed s’était posé la question tout le dimanche en attendant le chaland. Lui, qui à l’accoutumée, écoutait et coiffait, là, il était resté sur son tabouret et avait entendu sa voix intérieure : Pourquoi n’as-tu pas regardé ta femme ces dernières années ? Pourquoi ne l’as-tu pas emmené au cinéma ? au restaurant ? en vacances ?

Sans réponse à ses questions, une larme de regret avait perlé sur sa joue .

J'écris depuis mon adolescence...comme beaucoup j'ai tenu un journal intime puis j'ai écrit des poèmes puis des textes et quelques petites nouvelles. J'adore lire depuis que je sais lire . Les livres furent mes premiers amis .

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2 réponses à Au Peigne fin

  1. Aliette S dit :

    Merci Catherine pour ce texte qui appelle une suite… Où est Rachel en ce dimanche ? Et quelles seront les surprises nouvelles réservées à Ahmed… ou qu’il réservera à Rachel, une fois sa larme essuyée…
    Aliette

  2. Sylvie W dit :

    Je suis comme Aliette: j’aimerais bien une suite à cette histoire!
    Merci!

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