Bouge de là !

Ça y est, Clémence s’est décidée. Aux forceps.

La veille au soir, Laurent lui a demandé de jouer franc-jeu. Au téléphone Marie essayait péniblement d’entendre la carte du Bol Duc, le japonais ouvert récemment dans la rue des Souvenirs.

La compagne de Laurent hurle :

– Clém’ ! Lolo ! Vos ramens… bœuf ou poulet ?

Dans le salon, le ton monte :

– T’es chiante, Clém’ ! T’étais la première à lancer l’idée de prendre des cours de fitness avec un coach. T’as insisté pour qu’on vienne avec Marie, comme ça on partageait les frais. Et ce soir, la veille du démarrage, tu nous plantes ! Mais comment mes parents ont fait pour me donner une frangine pareille !!!

Clémence, tête basse, encaisse les coups. Crochet, uppercut ; c’est une séance de boxe qui a commencé. Groggy, elle ouvre péniblement la bouche :

– Lau… Je le sens pas… j’ai du travail… et puis je vais être ridicule, je n’ai jamais fait de sport. Je ne suis pas comme toi, pas comme ta copine.

– Stop ! Tu t’étais engagée. Alors tu viens ! Quitte à seulement regarder, mais tu paieras ta part pour ce premier cours. Qui sait, tu vas accrocher !?

Le lundi se lève avec des hésitations, comme Clémence. Ira, ira pas étrenner son collant jaune fluo, son maillot du RC Lens, ses baskets neuves et rouges pour aller plus vite ? Faire bonne impression ; essayer de réduire son embonpoint derrière des couleurs chatoyantes. Se maquiller, ou pas ? Cela pourrait faire sapin de Noël, si j’en rajoute une couche, se dit-elle.

Un dernier coup d’œil dans le miroir des sanitaires. Elle salue ses collègues du cabinet d’avocats, et descend dans la rue.

Laurent et Marie sont déjà impatients de se dépenser à l’heure du déjeuner. 60 minutes sans supporter les jérémiades des collègues affectés d’un pessimisme congénital. Une heure pour s’époumoner en plein air et se vider la tête.

Un homme, les mollets habillés de hautes chaussettes roses, le postérieur enveloppé dans un bermuda bleu, le buste magnifié d’un tee-shirt de l’équipe de rugby du Stade Français, les lunettes cerclées de rose, et la tête couverte d’une casquette bleue, accueille le trio d’un sourire. Il tend le poing, prompt à un check :

– Ricardo !

Laurent et Marie saluent le coach ; Clémence se tient légèrement à distance.

– Salut mon poussin ! lance Ricardo avec un sourire.

Le poussin rougit très fort.

– Prêts ? Alors, pour cette première séance, je vous propose des ateliers. Ici, pompes. Là, tractions avec l’élastique, là-bas, squats. A côté, gainage, et abdos. On change toutes les minutes. Au bout de 3 tours, 1 minute de récupération. On repart pour 5 tours. A nouveau 1 minute de récupération. Ensuite, 10 minutes de footing de récup’. On terminera avec 8 minutes de stretching.

Laurent lance un « Cool !!! » retentissant. Clémence transpire déjà à l’évocation de la liste d’exercices à s’enfiler. Marie, elle, est concentrée. Dans un coin de sa tête, le souvenir de son père, derrière elle. Il aurait aimé faire d’elle une championne de tennis. Mais elle n’avait pas les mêmes ambitions. Alors ils se sont éloignés.

Un coup de sifflet, la séance commence. Un nouveau signal, et chacun change de poste. Les visages de Laurent et Marie se colorent au gré de l’effort. Clémence, elle, fait ce qu’elle peut entre les coups de sifflet. Elle a démarré cramoisie. Elle reste cramoisie. Elle finira cramoisie. Coup de sifflet, le footing de récupération est au programme. Laurent et sa compagne ne se font pas prier, ils filent, heureux de leur séance. Le poussin jaune et rougeaud marche, piétine, sort de la vue de Ricardo. Il fait un porte-voix avec ses mains : « Vous en êtes où ? »

Entre 2 râles, Clémence essaie de prononcer « J’arr… j’arrive ! ».

Elle rejoint le petit groupe, heureuse d’en avoir fini. Elle pense à la douche qui l’attend, se projette déjà devant le bar à salades au bas de l’immeuble, les douceurs dont elle pourrait se gratifier, pour se récompenser.

– Allez, on s’étire ! Allez, on contracte la fesse arrière, et on relâche.

Clém’ pouffe de rire. Elle se dit qu’il existe des fesses avant dans l’imaginaire du coach. Lequel le foudroie du regard.

– Eh ! Ça va le poussin ! Ne la ramène pas. A tous les 3, le déjeuner idéal, ce sera : un quart de Perrier, un yaourt, une banane, 3 noix, et vous pouvez continuer la journée. C’est pas bon de trop manger après l’effort. Et ce soir une soupe et un gâteau de semoule.

Le cours se termine ; le coach est payé. Le rendez-vous est donné pour le deuxième cours. Un mercredi soir. Dans un autre lieu, mieux éclairé.

Méfiant, Laurent appelle sa sœur le mercredi matin.

– Non, ça ne me gêne pas d’y aller ce soir, assure Clémence.

Quelques heures plus tard, Ricardo entraîne Marie et son compagnon. Seulement.

Au téléphone, Clémence a essayé de justifier sa défection  :

– Je ne sais plus où je dois changer. A Bastille ? A Châtelet ? A zut, vous êtes sur le stade Maryse machin ? Je suis loin…

Une autre fois :

– Je me suis coupée en essuyant la vaisselle au bureau. Il y avait un pot d’anniversaire, j’étais responsable du couteau. Je ne vais pas mettre du sang partout… Mais si, j’ai mis un pansement, mais cela m’empêche d’utiliser ma main. Je ne vais pas pouvoir faire des pompes !

Plus tard encore :

– Allez, pour une fois… Oui, bon, c’est vrai que cela fait des semaines que je ne viens pas. Promis, la semaine prochaine, a priori, je serai là ! C’est l’intention qui compte, non ?

C'est un peu par hasard que j'ai découvert le plaisir d'imaginer des histoires. D-Ecrire des vies. Et j'ai trouvé avec Cécile et Philippe, et tous les participants, de quoi cultiver l'enchantement. Merci à tous.

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Une réponse à Bouge de là !

  1. Aliette S dit :

    Ah je me sens tellement en phase avec Clem !! Et j’adore la description de Ricardo dans son bermuda bleu chaussettes roses !
    Merci pour cette histoire dont je suis sortie en nage et avec le sourire
    Aliette

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