Un battement d’ailes, un bourdonnement, des ondes discrètes sur le plan d’eau. Le soleil est éblouissant, l’eau est tiède. Brune suit à la trace la libellule, elle ne la voit pas, elle la devine. Elle tend l’oreille, elle ne fait pas de vagues quand elle avance dans la vase.
Elle s’approche des roseaux, elle écarte une à une les tiges, délicatement, sans bruit. Ça lui arrive de faire preuve de douceur et de délicatesse du haut de ses huit ans. C’est vrai qu’elle est pleine de vie et d’entrain, toujours avec une idée en tête, quelque chose à faire, des secrets à découvrir.
Brune sait quand il faut y aller doucement désormais. L’été dernier, elle était plus petite, elle avait fait peur à un oiseau multicolore en s’approchant en courant, en criant qu’elle voulait l’attraper. Maintenant qu’elle a un an de plus, elle sait qu’il faut faire le guet, être patient pour pouvoir avoir la chance d’admirer les merveilles de la nature.
Brune a écarté tous les roseaux, la libellule n’y est pas, pourtant elle était sûre de l’avoir entendue vers là. Elle tend l’oreille et même les deux, elle ferme les yeux, pince sa bouche pour se concentrer. Rien. Aucun battement d’ailes, aucun bourdonnement, aucune onde sur l’eau. Elle n’entend que le brouhaha ambiant : des enfants qui jouent à la balle, des enfants qui s’éclaboussent, des parents qui tentent vainement d’attirer leurs progénitures pour leur mettre de la crème solaire et d’autres, avec un succès plus retentissant, quand ils annoncent « Vous venez manger votre glace ? »
Brune est déçue, la libellule a disparu. Elle sent quelque chose qui lui chatouille les mollets. Elle baisse la tête, une colonie de têtards ! Elle hésite sur la tactique à adopter : plonger ses mains en bol pour en attraper et courir vite jusqu’à la plage, jusqu’à son seau ou bien demander, en ne criant pas trop fort, qu’on lui apporte le seau.
Elle met sa main en visière pour évaluer qui sera le plus à même de lui apporter. Son frère joue au frisbee avec son copain du jour. Son père n’est plus sur la plage, il a dû s’échapper pour aller boire une bière. Sa mère est plongée dans son livre ou dans un sommeil profond, elle n’arrive pas trop à déterminer car elle a ses lunettes de soleil.
Un petit garçon est proche d’elle. Elle le hèle. Psst, psst. Colin se retourne, ne la voit pas tout de suite dans les hauts roseaux. Brune recommence psst, oui toi psst, oui toi avec le maillot bleu, viens voir s’te plaît.
Colin court dans l’eau, éclabousse et fait des vagues. Brune l’arrête. Chut, viens doucement, tu vas faire peur. Colin s’inquiète, il chuchote : ça ne va pas ? Tu veux que j’appelle tes parents ?
– Non, ça va, j’ai juste besoin de mon seau.
– Pourquoi faire ?
– Chut, regarde.
– Ouah, mais j’ai jamais vu autant de têtards. Bouge pas, je reviens vite.
– Ok, mais tu ne fais pas de bruit sinon ils vont partir.
– Ben oui, je sais, j’ai huit ans tu sais !
Colin part sur la pointe des pieds. Ses orteils s’enfoncent dans le sable mouillé. Il retient un « aïe » lorsque son gros orteil écrase un coquillage cassé. Il revient avec deux grands seaux. Il en tend un à Brune.
– Allez, à trois, on y va, tu sais comment attraper des têtards ? Un, deux, trois.
Brune et Colin enfoncent leur seau dans l’eau et le remonte le plus rapidement possible. Elle en a six, il en a cinq. Ils regardent à leurs pieds, tous les autres sont partis se cacher. Brune et Colin sont déçus mais observent les petits têtards.
Tu crois que ça met combien de temps à devenir des grenouilles ? s’interroge Brune.
– Ben, je sais pas, on a qu’à les garder pour voir.
– Tu crois qu’on leur donne quoi à manger pour qu’ils survivent ?
– Ah ça, je sais pas. Mais peut-être qu’ils mangent la même chose que Piccolo.
– C’est qui Piccolo ?
– Ben, mon poisson rouge.
– Ah, c’est une bonne idée, on va leur donner la nourriture de Piccolo pour voir s’ils mangent bien et s’ils se transforment en grenouille.
Brune entend un bourdonnement puis plus rien. Elle lève la tête, la libellule s’est posée dans les cheveux mouillés de Colin.
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Alors, on leur donne quoi aux têtards ?
On leur donne beaucoup d’amour et d’attention pendant les quelques minutes où ils fascinent les enfants 😉
C’est poétique, c’est rythmé; On retrouve la libellule ave plaisir (on l’attendait). on entend les pensées et la faune …
Merci Sylvie de ton retour.
Je te souhaite un bel été avec, qui sait, une belle rencontre avec une libellule.