Fissure

Les arbres derrière les hauts murs de pierre bruissent doucement. Il fait bon pourtant Flora reste enfermée dans sa chambre. Une mésange la regarde par la fenêtre. Elle l’invite à la suivre, à écouter les petits bruits. Mais Flora n’aime pas le froid, elle remonte le col de son pull, tire sur les manches pour couvrir toutes ses paumes.
La mésange s’envole.
Flora la suit des yeux puis la perd dans les feuillages verts. Elle prend son cahier à dessin, ses crayons de couleur et s’attelle à la reproduire sur un papier à moitié blanchi. Elle espère faire revenir la mésange par magie.
Elle décide d’installer sa mésange en deux dimensions sur un crocus violet. Le contraste des couleurs lui plaît. Elle colorie délicatement, elle estompe ici ou là, appuie un peu plus à d’autres endroits. Flora prend le temps pour achever sa représentation.
Son cahier est rempli de jolis dessins tous plus bariolés les uns que les autres. L’important pour Flora est vraiment de reprendre à l’identique les couleurs qui lui sont passées devant les yeux, à sa fenêtre.
Elle a une boîte à livres en bois remplie de ses cahiers à dessins. Elle date chacun d’entre eux, ajoute l’heure exacte à laquelle elle l’a commencé, l’heure exacte à laquelle elle le termine. Ses dessins rythment sa vie.
Flora a terminé la mésange sur son crocus. Elle souffle sur son papier pour dégager les poussières de couleurs et les morceaux de gomme. Elle regarde l’horloge de sa chambre pour noter 15h34.
Flora s’allonge sur son lit. Elle fixe le plafond blanc cassé où apparaissent quelques lézardes. Il y en a une qui ressemble à une demi-lune. Elle ferme les yeux, essaye de se laisser emporter dans le monde des rêves. Elle s’imagine à bicyclette, les cheveux dans le vent, elle respire profondément, elle sent son âme se poser sur un banc à l’ombre, elle voudrait musarder mais son corps reste figé et enfoncé dans ce lit aux draps rêches.
Une infirmière entre sans toquer. Ses visites ponctuent les journées de Flora. Elle lui demande brutalement de descendre du lit. Aucun mot, aucun geste de l’infirmière ne la rassure.
Flora se raidit, elle aimerait pouvoir se défaire de cette peur, elle sait que l’infirmière reviendra. Et la mésange ? Reviendra-t-elle ?
Flora voudrait parler de la mésange à l’infirmière, lui dire qu’elle l’a bien observée, qu’elle l’a bien dessinée. Elle aimerait lui montrer son dessin et tous les autres aussi. Elle aimerait lui dire que les mésanges annoncent de bonnes nouvelles, que cette mésange-là lui a même proposé une virée. Mais l’infirmière est déjà repartie dans un coup de vent qui fait encore trembler la porte.
Flora entend un cri furieux plus loin, un cri comme celui d’un goéland, un cri qui la tétanise. Flora se bouche les oreilles, elle ne veut pas. Elle se balance d’avant en arrière, elle ne veut pas, ni les cris, ni la douleur, ni la peur. Les cris s’arrêtent subitement. Flora s’installe à la fenêtre, elle marque le retour au silence.
En contre-bas, elle a vue sur le cimetière, des croix et des croix alignées, il y en a toujours une de plus chaque jour.
Flora prend son cahier et commence à dessiner, elle note 15h51 pour le début de son dessin. Elle cherche ses couleurs, elle pioche son crayon à papier. Elle dessine le cimetière. Des larmes coulent sur ses joues. Elle connaît tous ceux dont les noms sont gravés sur les tombes.
Elle continue à dessiner. Elle colorie encore et encore. Elle colorie sa vie à chaque fois qu’elle le peut pour oublier, tout oublier sauf peut-être…

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