A l’heure du bain, alors que le chat profite du soleil sous le romarin, Flo ouvre grand la bouche. Elle s’entraîne à faire « O », à resserrer les mâchoires pour dire « U », elle grimace pour exprimer le « I ». Elle s’acharne, elle y arrivera, un jour, à dire « Oui ».
Sa mère l’a déjà torturée de questions :
– Es-tu sûre que c’est le bon ?
Son père s’est mis à genoux devant elle :
– Que ferai-je sans toi ?
Flo s’isole dans l’eau bleue moussante, les narines captivées par des bougies parfumées.
O. U. I. Oui. Ne riez pas, elle vient du Nord, et là-haut, on dit « Ui », comme au théâtre.
La secrétaire du maire a été formelle :
– Votre mariage ne sera validé que si vous prononcez les 3 lettres du Oui. Donc… pas de « Ui », hein !?
– Et… si j’épelle O-U-I ?
La secrétaire écarquille les yeux :
– Alors là, tout le monde va vous regarder !
– OK, je meurs, se dit Flo.
* *
*
Juste avant de prendre la parole, Jéjé tortille ses pieds dans ses chaussures. Il s’exerce devant la glace à répéter le discours qu’il fera sur le perron de la mairie.
Sa mère lui a maintes fois demandé :
– Es-tu sûr que c’est la bonne ?
Son père lui fait la gueule :
– Mais que ferai-je en tête-à-tête avec ta mère ?
Jéjé s’isole dans sa chambre et le miroir réfléchit l’image d’un grand jeune homme qui se tord autant les doigts que les orteils.
– Est-ce dangereux de se marier un vendredi 13 ?
Non ; il n’a pas le choix. C’est la veille du 14 juillet, et le curé participera au tableau vivant de la liberté guidant le peuple. On ne dirait pas comme ça, mais il est un foufou sous la soutane, le père Vert. Si, si, il s’appelle Alain Vert.
Jéjé tremble de peur. Et si personne ne le regardait pendant son laïus ? Il en mourrait sûrement.
Il jette un œil par la fenêtre. Les nuages ont gagné la bataille. Demain matin, le soleil brillera à nouveau.
Le prétendant se décide à sortir de sa chambre mortifère. La gare n’est pas loin.
– Où vas-tu ? Demande sa mère, assise au salon face à une émission de cuisine télévisée.
– Je vais acheter un souvenir pour le petit frère de Flo.
– Ne rentre pas trop tard !
La porte se referme derrière le jeune homme.
– Tiens, il ne m’avait pas dit qu’elle avait un frère.
* *
*
Sur le chemin de la gare, le téléphone de Jéjé vibre. Flo l’appelle.
– Allô ? T’es où ?
– Je prends l’air. Je n’en peux plus de mes vieux !
– Tu vas rester dehors longtemps ?
– De toute façon, j’ai pas sommeil. Je n’arrive à finir mon discours. J’ai laissé un brouillon sur la table de ma chambre. Tu crois que c’est grave si je ne dis rien après la mairie ? Ce sera l’heure du vin, alors, un « Régalez-vous ! » suffira, non ?
– Ui. Jéjé, il faut que je te voie. C’est urgent.
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
– Je ne peux pas te le dire au téléphone. Je suis enceinte.
– T’es quoi ?
– J’attends un enfant. De toi.
– Encore heureux ! Alors, on fait quoi ?
– Écoute, on est fin octobre ; d’ici juillet je serai enceinte jusqu’aux yeux. On doit se marier tout de suite. On trouve 4 témoins, et zou !
– OK.
* *
*
Peu après, devant le maire, Flo et Jéjé échangent leurs consentements.
« Oui », pour Jéjé.
Un panneau « Oui » pour Flo. Elle s’est présentée aphone ce matin-là. Les mauvaises langues diront que ça l’arrange. Elle n’est jamais parvenue à articuler autre chose que « Ui » malgré son entraînement. Même l’orthophoniste en a levé les mains et les yeux au ciel de désespoir.