La béquille 1/3
Bruno était un solitaire, un de ceux que les mésanges regardent par la fenêtre. Bruno aimait la montagne, marcher seul avec son appareil photo et la soupe de légumes. Ce matin-là, on était fin mars, mais dans cette période où, en montagne, l’hiver laisse encore trainer ses bras froids le matin, tandis que l’après-midi, le printemps essaie d’installer des meilleures températures. Il y avait encore de la neige sur les sommets. A 25ans, Bruno avait créé une association pour retaper les chapelles autour de Monetier-les-bains. Quinze ans à monter des matériaux dès le printemps venu, à passer des jours et des week-ends à travailler avec les amis de l’association. Une randonnée a même été créée autour des chapelles. Il s’était marié dans la première chapelle rouverte au public et Justine l’avait quitté dix ans plus tard, elle n’avait pas supporté les nombreuses journées à remonter les toits, depuis il était resté seul, préférant les randonnées, les photos et les aquarelles qu’il faisait parfois. Il allait plus souvent jusqu’à son petit chalet d’alpage aux Tronchets, pour voir la vallée. Il ne pouvait expliquer son amour qu’il avait pour les pierres, les arbres et les couleurs, comme on ne peut pas expliquer l’amour qu’on a pour une femme.
Bruno avait décidé d’aller faire un tour sur les crêtes de Peyrolles. La vue est si magnifique de là-haut. Il était parti vers le col du Granon, la route était dégagée. Il s’était garé, un peu tard peut-être sur le parking près des baraques militaires. Il avait pris ses bâtons de marche parce que la première montée est raide et traitre. Avec son sac à dos orange, les oiseaux l’avaient vu partir par le chemin des myrtilles.
Cette année-là, il avait beaucoup neigé durant l’hiver et malgré la fonte de printemps, il restait encore dans les endroits abrités, une grande quantité de neige. Bruno avait eu chaud dans la première montée et lors d’une pause, il avait aperçu quelques chamois au loin. Arrivé en haut des crêtes, il avait sorti son appareil photo puisque les animaux étaient eux aussi de sortie. Il avait continué sur le sentier, pour s’approcher d’eux sans se faire remarquer. Sur la pente encore enneigée, il était descendu pour prendre des photos. Bruno était prudent, il connaissait bien la montagne, mais la plaque de neige avait cédé et l’avalanche l’avait emporté dans un nuage blanc et poudreux.
La béquille 2/3
Flora aimait observer la montagne avec ses jumelles, manger sa soupe devant la télé et collectionner les bons de réduction pour des magasins où elle n’allait pas. Ce matin-là, elle avait allumé son poêle à bois et elle avait activé le feu, il faisait encore froid le matin. Elle le laisserait s’éteindre doucement quand le soleil réchaufferait la maison. Elle avait pris ses jumelles pour regarder les pistes de ski de Serre-Chevalier pour voir les gens descendre. Le matin, en ce moment, ça faisait cri-cri sous les skis avec le froid et chou-chou dans la soupe l’après-midi. Elle regardait les skieurs en essayent d’oublier son propre accident à 28 ans qui l’avait écarté des courses avant la fin de sa carrière de sportive. Désormais elle devait toujours avoir sa béquille à portée de main pour se déplacer et pas question d’aller randonnée. Elle avait apprécié un peu trop l’intérieur de sa maison, et l’intérieur de ses pensées, avant de retrouver un peu d’air en consultant une hypno thérapeute à Lyon. Elle s’était dit qu’elle pouvait peut-être aider les autres, mais elle ne savait pas comment. Alors elle restait chez elle depuis 10 ans, à regarder dehors. Elle était courtisée par des garçons quand elle skiait et gagnait des courses. Mais depuis il y avait du silence et du vide. Ses rêves ont lui avait pris alors elle regardait les rêves des autres.
Elle était allée donner à manger aux poules et avait remarqué quelques crocus et ensuite elle s’était enfermée dans la cuisine. Elle a fait un café et est restée un moment à regarder dehors. Flora n’aimait pas le froid, elle aimait la montagne mais préférait l’été. Il n’y avait pas grand monde sur les pistes, alors elle s’est levée avec ses jumelles et elle est sortie devant chez elle. Elle s’est assise sur le banc à côté de l’entrée. Il y avait un peu de soleil. Elle a pointé ses jumelles vers les crêtes de Peyrolles, l’hiver, normalement, il n’y a personne alors que l’été, il y a toujours quelqu’un à observer. Mais ce matin-là, au bout de ses jumelles, elle a cru voir un petit point orange, elle a reconnu un sac à dos, en haut des crêtes. Il y avait quelqu’un qui marchait sur le sentier qui passe sous la croix de Toulouse. Elle regarder le point avancer et elle a vu le nuage blanc et la coulée dans la pente. Le petit point orange a disparu. Flora a pris sa béquille et est rentrée à l’intérieur pour décrocher le téléphone « Allo… Il y a eu une avalanche, sur les crêtes de Peyrolles au niveau de la crois de Toulouse, Il y a quelqu’un dessous… Oui j’en suis sure… Vous envoyez une équipe ? Très bien, Merci. »
La béquille 3/3
Il était près de la porte, il hésitait, il avait pourtant décidé de venir, c’est vrai, il avait toutes les raisons de venir. La vie vous envoie parfois des signes. Le capitaine de la gendarmerie lui avait donné un papier avec le nom. Il avait hésité longtemps, pas parce qu’il ne savait pas où elle habitait, parce que dans les villages tout le monde connait tout le monde. Il a avancé sa béquille et a sonné.
Flora est venue ouvrir, elle a ouvert la porte et l’a regardé :
Bonjour Flora, je suis Bruno, le… en fait, c’est le capitaine qui m’a donné votre nom, je veux dire… parce que…
Allez, entrez, on ne va pas rester comme deux flamands rose.
Bruno a souri, c’est vrai qu’ils ressemblaient à des oiseaux. Il avait été surpris de la voir aussi avec sa béquille. Elle s’est tournée et a rejoint la cuisine. Bruno l’a suivi jusqu’au salon. Il en avait marre de sa béquille, mais il ne pouvait pas se plaindre devant elle. De la cuisine, elle a dit :
Vous voulez un café ?
Il s’est approché de la porte de la cuisine.
Oui, je veux bien
Elle a commencé à préparer du café. Elle tourbillonnait dans sa cuisine avec sa béquille comme si elle glissait sur le sol. Elle a mis le café dans la cafetière italienne et l’a posé sur la gazinière. Puis elle s’est déplacée vers les placards pour prendre des gâteaux. Il était resté silencieux appuyé au chambranle de la porte. Elle s’est tournée vers Bruno et lui a dit :
Vous allez bien ?
Mieux maintenant. Je suis resté quelques jours à l’hôpital, et ils m’ont donné ça pour que je puisse sortir.
Tant mieux.
Bruno s’est avancé dans la cuisine, comme sur une piste de danse, il a posé sa béquille sur le dossier de la chaise. Il s’est assis, Flora le regardait en souriant. Il a commencé à remuer son café alors qu’il n’avait pas mis de sucre et il a dit :
Flora, je… merci… il y a des coïncidences… mais… parce que c’est grâce à toi si je suis encore là.

Dans l’écriture, il y a une échappatoire à la réalité.
Passionné de nouvelles, lecteur de nouvelles du monde entier, j’aime écrire les quotidiens, les petits détails, les fêlures des personnages.
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