La boîte à souvenirs

On s’était donné rendez-vous au Soleil d’hiver, un bar restaurant qui donne sur la plage. J’ai toujours trouvé que c’était bizarre comme nom, pas très vendeur. En même temps, c’est vrai qu’on a froid 10 mois sur 12 sur ces plages normandes. Ma soeur voulait absolument me voir ce week-end, elle avait retrouvé des vieux machins, des souvenirs de notre enfance et elle était sûre que ça allait me plaire.
Je l’attendais devant le bar, comme toujours, j’ étais la première, cette maladie d’être toujours en avance me suivrait jusqu’à ma mort. Je l’aperçus au loin sur son vieux vélo, je reconnus sa vieille écharpe bleue qu’elle ne quittait presque jamais et ses lèvres qu’elle n’omettait jamais de peindre en rouge avant de sortir. J’avais la même écharpe, mais en rouge, cadeau de notre grand-mère. Elle nous offrait toujours le même cadeau, pour Sophie en bleu, pour moi en rouge. Et j’étais toujours déçue, parce que tout est plus joli en bleu. Un pull bleu c’est beau, un pull rouge c’est criard. Un bracelet bleu c’est élégant, un bracelet rouge, c’est vulgaire. Tout ce qu’avait Sophie était parfait, tout ce que j’avais était décevant. Je n’ai jamais osé dire à notre grand-mère que je n’aimais pas le rouge. Sophie gara son vélo contre le petit muret de la digue et se dirigea vers moi, les yeux plissés vers le soleil et le visage chauffé par le froid.
– La première, comme toujours, soeurette !
– On ne se refait pas ! Un petit café ?
– Bonne idée !
Une fois installées devant nos cafés, j’interrogeais Sophie.
– Alors qu’est-ce qu’il y avait de si urgent ?
– Et bien, ça te fait plaisir de me voir ! Est-ce que j’ai besoin d’un prétexte maintenant pour prendre un café avec toi Caro ?
– Non, bien-sûr mais ton message était tellement énigmatique! C’est quoi ces “fragments du passé retrouvés”?
– OK, je te raconte. Et sinon, je vais bien, merci de demander. Bon donc, jeudi dernier à la banque, je tombe sur une très vieille dame qui dit me connaître. Aucun souvenir d’elle. Elle me dit qu’elle connaissait très bien Mme Joly, Mamie, quoi ! C’était une copine de tricot, Mme Berthier, tu te rappelles toi ?
– Ah oui, je crois. Mme Berthier, du gang des tricoteuses de la côte
– Tu as toujours eu une meilleure mémoire que moi … Bon et bien, figure-toi que Mme Berthier m’a apporté une boîte à chaussures remplis de trésor qui ont appartenu à Mamie

Sophie n’avait pas voulu que j’ouvre la boîte à chaussures au trésor devant elle. “Non, il faut que tu aies la même expérience que moi, que tu en profites vraiment. C’est entre toi et Mamie”.
Elle m’intriguait. Je n’ai pas pu résister plus longtemps, pas le temps de rentrer à la maison, alors je suis allée m’asseoir dans le sable froid de cette fin d’hiver et j’ai ouvert la boîte. Déjà l’odeur m’a ramené 20 ans en arrière. C’était son odeur, un mélange d’eau de cologne et de pâtisserie. Comment c’était possible ? Cette boîte sentait les souvenirs et c’était magique. Il y avait de vieilles photos, de très vieilles photos, que je n’avais jamais vues. Ma grand-mère encore jeune fille avec cet air qui la caractérisait, à la fois si bon et si déterminé, une pointe de défi dans le regard. Et puis il y avait des tas de photos d’elle et de nous, à tous les âges. La fierté de ce regard qu’elle portait sur nous, la tendresse pure, l’amour, la bonté. Que c’était bon de revoir ces moments, de la revoir elle.
Et puis au fond de la boîte, il y avait une lettre, une enveloppe rouge, avec mon prénom dessus écrit de son écriture quasi illisible dans les derniers temps. Je passai mon doigt sur mon prénom qu’elle avait laissé là. Un frisson me parcourut.
“Ma si douce Caroline, mon ange,
Je sais ce que tu penses. Encore du rouge ! J’ai découvert que tu n’aimais pas le rouge trop tard, ta mère a fini par lâcher le morceau. Tu aurais dû me le dire, mais tu ne voulais pas me froisser. Tu es comme ça, ma toute douce. Pourtant c’est beau le rouge et je trouvais que ça t’allait tellement bien. C’est pour moi la couleur du courage, et tu n’en manques pas. J’ai laissé ce carton à ma vieille amie Suzanne, elle a une santé de centenaire, elle me survivra ! Je lui ai demandé de vous le remettre pour vos quarante ans. Alors si tu me lis, c’est que tu as atteint cet âge respectable mais où tout est possible. Je ne serai plus là à vos côtés, mais je serai toujours là.
Ne change pas mon ange, garde ta douceur et ton courage, mène tes combats, mène tous tes combats, avec ta force, ta conviction, mais jamais au détriment d’autrui. Vous êtes d’une génération de femmes pour qui tout est possible, c’est formidable ! Imagine toi, que moi à quarante ans, je ne pouvais pas ouvrir un compte bancaire à mon nom sans l’autorisation de ton grand-père ! Votre époque est celle de la femme, prenez le pouvoir!
Et puis n’oublie pas d’aimer, passionnément, intensément, déraisonnablement ! N’oublie pas de faire des enfants, enfin seulement si tu en as envie ! Mais si tu le souhaites, fais des enfants, un ou dix, et un jour tu auras l’immense bonheur d’être grand-mère. Ca a été le plus grand bonheur de ma vie. Vous avez été le plus grand bonheur de ma vie.
Enfin mon petit oiseau des îles, n’oublie pas d’être heureuse, tout simplement.

Ta grand-mère qui t’accompagne chaque jour
Blanche.
PS : Tu trouveras mes boucles d’oreille en saphir dans un petit coffret, les rubis sont pour ta sœur.“

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