La queue, la caisse ou les autres

J’ai bien réfléchi, j’ai hésité entre les deux files des caisses, mais comme d’habitude, j’ai mal choisi mal ma queue. C’est pour ça que je déteste faire les courses. Tu ne comprends pas, mais ça arrive toujours. J’avais choisi cette file parce la caissière, avec sa jolie peau mate, avait l’air dégourdi. Ça n’était pas une caissière neurasthénique, je pensais encore avoir de la chance. Je me suis placé dans la queue et j’ai senti comme une ombre. Quelque chose me disait que j’avais mal choisi, mais au moment où j’ai voulu changer de file, j’ai vu que l’autre caisse s’était rempli et que quelqu’un était arrivé derrière moi.

J’ai reniflé, ça sentait mauvais, un mélange de vieille transpiration et d’habits mal séchés, une odeur aigre proche du vomi. Insupportable. Je me suis avancé en plaçant mon panier derrière moi essayant de créer une barrière de sécurité. Mais le calvaire a vraiment commencé. La femme à la caisse avait posé des pommes sur le tapis et la caissière, dégourdie je vous avais dit, a remarqué qu’il y avait une étiquette d’orange et elle a dit « ça va pas, c’est pas des oranges  c’est des pommes et l’étiquette c’est des oranges. » Bah oui tout le monde voit que c’est des pommes, bon sang, on perd du temps parce que la femme a pesé des pommes en mettant une étiquette d’oranges. C’est comme ceux qui confondent les magnolias et les hortensias, c’est quand même pas pareil. Alors la caissière a discuté avec la femme et une autre caissière qui passait pas là et elle ont demandé à la dame d’aller repeser ces pommes en mettant la bonne étiquette. Donc on était parti pour une attente tendue et incertaine. Est-ce que la femme allait réussir à retrouver le rayon fruits et légumes puis la bonne touche ? c’était la question. La vieille dame devant moi qui a senti que je m’étais rapproché se retourne vers moi en souriant, comme si elle était contente qu’on soit bloqué dans la file. J’ai senti qu’elle voulait engager la conversation. J’ai plissé les yeux, j’ai regardé ailleurs , pour voir si quelqu’un ne passait pas tout nu dans le supermarché, histoire d’attirer l’attention. Mais non, il n’y avait personne et voilà la vieille a commencé à me parler « Ah ben ça arrive, hein parfois on se trompe de touche, moi c’est le poivrons, je trouve jamais les poivrons, alors j’achète pas de poivrons, parce que je trouve pas la touche poivron, je sais pas où ils la mettent la touche des poivrons. » Je l’ai regardé avec un regard vide, comme pour lui signifier que non, on ne met pas une étiquette d’orange sur les pommes et que la touche poivron existe. Mais à ce moment-là la femme est arrivée avec son sac de pommes. Et tout le monde a regardé le sac de pommes comme si s’était un panda doré. Mais on a quand même perdu une demi-heure. En passant la femme a bousculé le bonhomme derrière et un effluve aigre et écœurant est arrivée jusqu’à mes narines. J’ai passé ma main sur mon visage de dépit, sachant très bien qu’elles sont sales. Mais je suis las et partout la queue s’est allongée. J’ai commencé à mal respirer, ces situations m’oppressent. Tout ça pour acheter le repas du soir. Je serais bien parti en laissant tout en plan, mais tu n’aurais pas été contente. Le dîner du samedi, c’est sacré. Donc les pommes sont enregistrées mais alors qu’on a cru l’éclaircie arriver, la femme cherche sa carte monoprix. Pour quatre produits je ne pouvais pas y croire. Elle a montré sa carte et on a encore eu le droit aux tickets resto, à tamponner, puis la monnaie au fond de la petite bourse à paillettes. Je pensais qu’on allait finir au cimetière pour le dîner de samedi.

Mais à ce moment-là, il n’y avait qu’une personne qui était passé. La vieille, passionnée par ce qui s’était passé, avait oublié de sortir la moitié de ces affaires. Elle a commencé péniblement à sortir ses affaires.

La caissière était une flèche, elle a passé les articles à une vitesse vertigineuse. La vieille dame était encore en train de ma parler que déjà tous ces articles avaient glissés de l’autre côté. Elle a été interloquée et déçue, elle a rejoint doucement ces articles. Elle s’est arrêtée un instant puis a dit « Vous avez bien compté la promo pour le fromage blanc ? ce à quoi la caissière après une vérification a répondu «  c’est avec deux pots qu’il y a la réduction » alors la vieille a ouvert son sac et a dit ah ben oui, j’en ai pris deux et elle a donné le deuxième pot à la caissière. On était trop estomaqué pour réagir. Même la caissière a seulement haussé les épaules et passé le pot de fromage blanc avec un bip.

J’ai commencé à sortir mes achats, la bouteille de vin soigneusement choisie. La vieille a regardé la bouteille et a commencé à commenter mon choix, mais la caissière était une lucky luke de la caisse et les affaires de la vieille valdingue de l’autre côté et elle a demandé, la carte monoprix ? J’étais scié. La vieille a paru déçue, et a bougonné, ben ça alors. Elle s’est dirigée de l’autre côté de la caisse. Derrière moi ça s’est agité aussi et les effluves sont revenus de plus belle et dans la queue qui s’était formée, les regards désaprobateurs sont tombés sur moi. J’avais envie de leur dire, c’est pas moi qui pue. Mais je me suis dépêché de sortir mes affaires.

La caissière était une flèche. Je n’arrivais pas à suivre son rythme pour ranger mes courses comme il faut dans mon panier à roulettes. Elle allait si vite que les articles arrivaient en vrac. Normalement j’aime bien classer mes achats pour bien les placer dans le panier, que le rangement soit optimal du genre Marie Kondo. C’est plus joli comme ça. Mais là il y avait un tas dans le bac de la caisse. Et je me suis résolu à mettre mes courses sans ordre. Je tremblais un peu après ma déconvenue sur le rangement. J’ai levé les yeux vers la caissière, la carte monoprix ? J’ai cherché ma carte monoprix. Dans mon porte-feuille duquel est tombé un papier. La jeune femme a attrapé le papier et a dit « je n’ai pas vu de serviettes hygiéniques dans vos courses. » et j’avais oublié. Pourtant tu me l’avais dit, surtout n’oublie pas d’acheter des serviettes. Elle m’a montré du doigt un rayon en disant « Sépéchez-vous c’est là-bas, à côté du rayon maison. » La vision du monde et de la queue m’a rendu fou. J’ai baissé la tête et couru jusqu’au rayon, pour acheter tes serviettes. Quand je suis revenu, je sentais les regards acerbes des gens de la queue. Certains partaient vers les caisses automatiques, mais c’était bondé aussi. J’ai glissé le paquet à la caissière et j’ai jeté le reste des articles dans le panier. J’ai payé et je suis parti sans regarder en arrière.

 

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