L’enfant caché

Le nouveau-né n’a pas peur d’ouvrir les yeux sur le monde et ses horreurs. De toute façon, on ne lui donne pas le choix. S’il sort du ventre de sa mère sans rien dire, tranquillou, les personnes avec ou sans blouse blanche ou rose, en charlotte et sur-chaussures bleues, surblouse blanche ou bleue sont frustrées. Sait-on jamais, un producteur passerait par là, guetterait des voix exceptionnelles. Vous ne me croyez pas, j’espère ! Allez, imaginons un instant les notes du casting sauvage.

Perçante – Allez-y ! Poussez madame !

Criarde – AHHHHHHHHHHHHHH !

Claironnante – Ça y est, elle est sortie ! Vous avez une belle petite fille.

Fluette – Elle… elle ne dit rien ?

Nasillarde – Ça arrive, la peur du réel sans doute. Attendez, je vais la chatouiller. Guili-guili-guili !

Claire – Ouin !

En chœur – Ah ! Enfin !

La maman laisse couler une larme, le papa est allongé par terre. Le producteur fait la moue. Il change de salle de naissance.

***

Le nouveau-né grandit, découvre ce qui l’entoure. Timide, il se tapit. A force de se cacher, il s’est mis à regarder. Et ouvrir grand ses oreilles. Avant de chercher un recoin pour disparaître dès qu’on l’avait repéré. Ne pas être vu.

Ses émotions sont décuplées. Il ne les partage pas. Il passe de l’amour à la haine parce qu’il prend tout au premier degré. Il se tait. Il observe. A l’enthousiasme succède la peur. Il n’est sûr de rien. Il se méfie de tout.

Il craint le regard et les gestes des autres. Jeunes ou vieillards, qu’importe ! Il a appris à être sage et respectueux. Il ne sait pas s’il a le droit de dire non.

Le soir il se perd dans son imaginaire pour trouver la paix intérieure. Il invente des vies, il fait naître des joies.

L’aube le ramène à la réalité. Comment disparaître du regard, comment tuer les peurs, comment dépasser les tourments ? Il a trouvé : s’alléger, devenir transparent. Mais le gras comme le maigre ne laissent pas indifférent. Et les ressentiments balaient les petits poids comme des coups de vent. La stratégie n’était pas la bonne. Et il a accru le dégoût de soi.

***

Bien des années plus tard, un virus couronné lui a donné l’occasion d’échapper aux regards, de cacher sa laideur derrière un masque. Sans lui, il se sent nu, vulnérable.

L’enfant caché est-il devenu un adulte masqué ? Cela lui donne un air de justicier. Un super-héros dépravé.

C'est un peu par hasard que j'ai découvert le plaisir d'imaginer des histoires. D-Ecrire des vies. Et j'ai trouvé avec Cécile et Philippe, et tous les participants, de quoi cultiver l'enchantement. Merci à tous.

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2 réponses à L’enfant caché

  1. Aliette S dit :

    Merci pour ce texte troublant et attachant.
    Cet enfant adulte caché derrière son masque, effrayé par le chaos du monde

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