Les vacances d’Édouard Dumont

Tous les ans c’est le même cirque dans la tête de madame Dumont : préparer au plus tôt les vacances de toute l’année. Sachant que son métier d’enseignante1 lui impose les mêmes périodes de vacances que ses nombreux collègues, c’est la course pour avoir du choix et éviter les congés merdiques, faute de mieux. Pour l’été, elle hésite à envoyer son fils en colonie apprenante. Il y a tellement d’offres ! Assise dans le jardin de son pavillon de banlieue, elle compulse un catalogue. Un coup de langue sur l’index droit, les feuilles défilent. Prise dans le tourbillon qui la fait avancer trop vite, elle revient en arrière, cherche le sommaire. Les séjours sont classés par âge, par centres d’intérêts. Première tranche : 8-10 ans, deuxième : 11-15, troisième : 15-18. Ça commence mal. Son fils aura 11 ans en plein été. Que choisir ? Les 8-10 ou les 11-15 ? Il est tellement bébé, parfois. Elle craint qu’il ne se fasse chahuter parmi les plus grands. Il n’a pas encore poussé. C’est le plus petit de sa classe. Il fait le clown pour se donner de la prestance.

Autre option, chercher selon les centres d’intérêt :

« Maths et Astronomie », cela sonne bien à ses oreilles. Édouard est si souvent dans la lune ! Elle rentre dans le détail du programme : « Calculer sans machine le nombre d’étoiles, après avoir découpé la voûte céleste en parallélépipèdes homogènes en fonction du nombre d’enfants. Ensuite, déterminer l’âge du capitaine et la profondeur du ciel. Enfin, si une fusée part ce soir à 12h25 de la base de Kourou, déterminer la date et l’heure d’arrivée sur le cratère Copernic de la lune, sachant que la fusée embarque 1 homme de 75 kilos, 1 femme de 57 kilos, leurs combinaisons, un chien en peluche, la trousse de maquillage de madame et un coupe-ongles ».

Cela lui semble alambiqué, elle cherche autre chose. « Sports et sciences ». Édouard est mal dégrossi, et il a les pieds plats. Est-ce bien raisonnable ? Elle continue sa lecture : « L’objectif de cette colonie est d’acquérir de meilleures qualités gymniques grâce à un entraînement scientifiquement éprouvé. Effectuer un 10 000 m à cloche-pied est la cible. L’usage de l’électrostimulation et de l’ électro convulsivothérapie ne seront pas écartées. L’intérêt de cette dernière technique est d’effacer les souvenirs de l’épreuve, particulièrement traumatisante pour les chevilles, les genoux, les hanches, la colonne vertébrale, et la santé mentale. Afin d’éloigner de leur petit confort les candidats à cette colonie innovante, 2 hypothèses de lieu sont à l’étude : le Yémen ou les Vosges. »

Madame Dumont sursaute. « Le Yémen ? N’est-ce pas dangereux pour mon poussin ? » Elle se persuade que la colonie siégera dans les Vosges. C’est une maman qui se fait beaucoup de soucis pour son enfant. Le panier à ses pieds dévoile au autre catalogue. Celui de son confiseur favori, fournisseur officiel des délices qu’elle offrira au corps professoral, la veille du conseil de la classe d’Édouard. Allons, hormis ses pitreries hebdomadaires, ce rejeton n’est pas un mauvais bougre, n’est-ce pas ?

Quelques jours après ce voyage au cœur des catalogues, madame Dumont est chafouine. Le père d’Édouard a d’autres ambitions qu’envoyer son fils sur la lune ou prendre des coups de gégène pour courir plus vite. Le gamin manque d’autonomie, donc le moyen idéal de l’acquérir est de partir avec les scouts de la paroisse. Las, madame Dumont a dû changer ses projets pour Doudou. Elle a affiché sur la porte du frigidaire la liste du paquetage, afin de s’habituer à ce que son fils n’emportera pas : une photo de famille.

« Chacun sera de habillé de culottes courtes, polo et chaussettes de couleur bleu marine. Exclusivement. En cas de pluie, un K-Way bleu marine sera toléré. Les vêtements seront étiquetés avec les nom et prénom de l’enfant. »

Cette litanie bleu marine la plonge dans une torpeur que seul le trajet vers le presbytère brisera peut-être.

« L’enfant qui ne voudra pas respecter le règlement sera laissé à la gare la plus proche du camp. »


1 cf. En classe avec Mme Dumont

C'est un peu par hasard que j'ai découvert le plaisir d'imaginer des histoires. D-Ecrire des vies. Et j'ai trouvé avec Cécile et Philippe, et tous les participants, de quoi cultiver l'enchantement. Merci à tous.

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