Je colorie ma vie sur du papier. Ma plume y glisse et y laisse l’empreinte de mes souvenirs et de mes rêves.
J’ai pris ma bicyclette dans la douceur de cet après-midi d’été normand, et je me suis engagée sur le chemin qui monte à la croix. Nos escapades enfantines étaient habituelles et n’inquiétaient personne. Les voitures restaient rares. Jamais nous ne nous sentîmes en insécurité sur ces petites routes qui traversaient des prés verts occupés surtout par des vaches.
La route était l’occasion d’aventures multiples. A la boite à livres en bois installée au début du printemps, je trouvais souvent des trésors. Je les lisais un peu plus loin, sur le petit banc à l’ombre des chênes le long de la foret. Pas folle, je ne ramenais jamais mes trouvailles à la maison. Mes lectures « pas de mon age » faisaient parfois l’horreur des adultes, pour des raisons qui m’échappaient totalement mais qui rendaient le livre encore plus attractif. Quand je voulais absolument pouvoir en terminer les pages, je le cachais du mieux que je le pouvais derrière les autres, en espérant le retrouver le lendemain. C’était la plus belle boite à trésors de mes vacances, depuis que j’avais épuisé les ressources des bibliothèques grand-parentales.
Plus loin sur le chemin, le cri furieux des goélands éclatait au détour du dernier virage et je savais alors la mer proche. La croix n’était plus très loin, plantée au milieu des crocus violets qui ponctuaient gaiement l’herbe malgré le vent toujours présent à cet endroit là.
La croix annonçait la falaise toute proche. Il ne fallait pas aller plus loin. J’avais maintes fois entendu les récits d’éboulement soudain de la craie en gros blocs meurtriers et je n’avais jamais bravé l’interdiction de m’approcher du bord. Je préférai m’allonger dans l’herbe, écouter les petits bruits qui s’invitaient au bout d’un moment : bruit du vent, des vagues en contrebas, d’un insecte, d’une mésange , et me faire emmener au loin par les petits filaments de nuages qui passaient d’ici, de là.
J’avais par contre beaucoup plus envie de découvrir ce qui se cachait derrière les hauts murs de pierre devant lequel passait le chemin que je prenais pour redescendre. Je les observais à chaque fois, sans jamais y déceler d’autre entrée qu’une petite porte en bois bien cadenassée et à la peinture écaillée et qui ne semblait pas avoir été ouverte depuis des années. Cette porte me fascinait : sur quel monde ouvrait-elle et que se cachait-il derrière ces murs ? J’imaginais un grand parc avec des arbres majestueux qui bruissaient doucement, une allée qui se découvrait soudain au regard, conduisant vers une vieille bâtisse. Un silence inhabituel comme si la mer toute proche avait soudain reculé.
Pourtant, derrière la maison, je suis sure qu’elle est là. Un escalier creusé dans la falaise descend à cette petite plage enchâssée entre les pans blanches. Les galets luisent doucement sous la caresse des vagues.
L’été scintille.