Partir en vrille

Félicia n’était pas enthousiasmée à l’idée de sortir en maillot et de s’exhiber à la vue de tous, d’exhiber le gras de ses cuisses et de son ventre, pas plus que le maigre de ses seins. Après 2 ans à se cacher de tout et de tous, à se protéger des autres, elle se sent en danger sur cette plage avec un simple maillot comme rempart au regard des autres. Pourtant elle aimait ça avant. Il n’y avait rien qui ne la mettait plus en joie qu’un après-midi à la plage. Le plaisir du sable sous la plante des pieds, la chaleur des rayons du soleil sur sa peau et le contraste de l’eau fraîche quand elle se baignait. Et puis le plaisir à peine coupable d’observer la vie des autres. Elle connait tout ça par coeur, des années de pratique avec ses amies quand elle était adolescente puis avec son mari et ses enfants.
Aujourd’hui, elle est venue seule et elle le regrette amèrement. Elle se sent comme une étrangère au milieu de ces gens et de ce paysage qui lui sont pourtant si familiers. Allongée sur sa serviette, cachée derrière ses grosses lunettes noires et un livre auquel elle n’arrive pas à s’intéresser, elle se sent seule, en danger. Félicia tente de se raisonner. “Il fait beau, tu es sur cette plage que tu adores, tout va bien. Respire.”
Elle se lève et décide d’aller goûter l’eau. Elle sourit en se rappelant ce que lui disait sa grand-mère qui se baignait presque tous les jours de l’année dans sur ces plages de la Manche. “Elle est fraîche mais une fois qu’on est dedans elle est bonne !”. Son sourire et le souvenir de sa grand-mère s’effacent vite, à chaque pas elle a l’impression que des dizaines de paires d’yeux sont braquées sur elle, à chaque pas elle a l’impression qu’un cercle malfaisant se referme sur elle. “Respire”. Elle suffoque, elle n’arrive plus à avancer, elle n’arrive pas à faire demi tour. Elle a terriblement chaud, le soleil se moque d’elle, les gens la montrent du doigt et se gaussent. Elle n’entend plus que ça, ces rires monstrueux qui se moquent, et elle s’évanouit.

Félicia ouvre les yeux. Elle est éblouie par un néon criard. Un voile sombre passe devant ses yeux, elle les referme. Elle ne comprend pas où elle est, tout s’est effacé dans sa tête. Elle a peur d’ouvrir les yeux de nouveau et de ne toujours pas comprendre, où elle se trouve et ce qu’elle fait là. Elle compte dans sa tête, à vingt, elle ouvrira les yeux. Un homme se trouve devant le néon, ses lèvres bougent mais elle n’entend rien. “Merde, merde, merde. Respire” Mais qu’est-ce qu’elle fout là ? Elle est tentée de fermer les yeux pour fuir la peur qui lui troue le ventre. Félicia ne comprend rien, elle tente de se calmer, d’observer la scène. Elle est en maillot de bain, allongée sur un brancard, elle sent le roulis d’un véhicule qui avance, elle a la nausée. Où est-ce qu’on l’emmène? L’homme continue de lui parler, il lui sourit, elle ne comprend rien, tout ça n’a aucun sens. Elle a la nausée, elle se sent partir, elle se laisse absorber par un brouillard apaisant.
Félicia sort de sa torpeur. Elle est habillée d’un vêtement sans forme, blanc, qu’elle ne reconnait pas. Elle est dans un lit aux draps blancs, dans une chambre aux murs blancs. Sur la petite table à côté du lit, une photo est encadrée, une photo de Luc et des enfants. Elle veut se lever mais des sangles l’en empêchent. “Respire”

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