Pythagore ou la mésange ?

La mère de Flora n’aime pas le froid, elle râle tout l’hiver et ne retrouve le moral et l’entrain qu’avec les beaux jours. C’est à croire que tout le reste n’a aucune importance, le beau temps comme unique objectif. Flora s’en fout complètement du temps qu’il fait, beau ou moche, froid ou chaud, sec ou humide, de toute façon il faut qu’elle bosse, alors, pour ce que ça change. Sa mère vient d’essayer de la sortir de ses bouquins “Allez, viens faire un tour, il fait bon, tu ne vas pas rester dans ta chambre toute la journée. On peut aller faire de la bicyclette ou juste musarder le long du petit chemin jusqu’à la mer ?”. Flora jette un regard noir à sa mère tout en se demandant si d’autres personnes utilisent des mots comme “bicyclette” ou “musarder”. “Maman, tu sais très bien que je n’ai pas le temps de musarder comme tu dis, j’ai les concours dans deux mois, tu te rappelles ?”.
Sa mère soupire et tourne les talons, elle se demande ce qui pousse sa fille à être aussi acharnée. Acharnée et désagréable. Flora tend l’oreille, elle écoute les bruits de la maison, la porte vient de claquer, enfin seule, le silence pour unique compagnie. C’est parfait. Elle replonge immédiatement dans ses équations et dans ses théorèmes, toutes ces choses stables, infaillibles, qui la rassurent … et qui ne l’emmerdent pas. Une mésange vient de se poser sur le rebord de la fenêtre et tape avec son bec sur la vitre. Flora sursaute et cogne le carreau pour faire fuir l’oiseau. Mais la mésange reste impassible, bien campée devant la fenêtre, on dirait qu’elle observe la jeune fille, qu’elle la défie. “C’est quand même pas un oiseau qui va m’empêcher de bosser, c’est ma mère qui t’envoie ou quoi ?” Flora décide d’ignorer l’oiseau et retourne à ses chiffres, mais elle n’y arrive plus, elle se sent observée, tous les bruits la déconcentrent, le cri furieux d’un goéland au loin, le bruissement des arbres derrière le haut mur de pierre du jardin, les craquements du vieil escalier en bois. Les chiffres se mettent à danser devant ses yeux, se transforment en notes de musique qui se baladent sur une partition.
Elle décide de descendre et de se faire un café, s’accorder une pause de 5 minutes, motivée pour s’y remettre de plus belle juste après. Ça fait pas deux ans qu’elle bosse comme une dingue pour s’effondrer à deux mois de la ligne d’arrivée. Elle se fait couler son café quand elle voit la mésange se poser sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, de nouveau elle fixe Flora de son regard impérial, immobile, culpabilisant. “C’est pas possible ça, qu’est ce que tu me veux à la fin ?” L’oiseau la regarde, puis se tourne vers le jardin comme pour inviter Flora à la suivre et finit par s’envoler en direction de la mer. Flora enfile ses bottes et décide de suivre le chemin de la mésange. Pythagore est là depuis des siècles, il pourra bien attendre quelques heures.

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