Rosalie au Père Lachaise

Chaque dimanche, Rosalie traversait le cimetière. Sa main caressait des stèles, souvent les mêmes, celles de personnes qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’avait jamais connues. Et pourtant, elle avait cette sensation étrange que son passage devait s’accompagner d’un hommage.
Elle comptait les hortensias, elle comptait les magnolias sur les doigts de ses mains et recommençait à chaque fois qu’elle arrivait à cinq.
Dans certaines allées, elle avançait sur la pointe des pieds, elle retenait même sa respiration. Il lui semblait transgresser si elle ne faisait pas ainsi. C’était souvent dans des passages à l’ombre toute l’année, quelle que soit la saison. Des allées où il faisait toujours, toujours froid. Il y avait peu de tombes dans ces allées-là, personne ne voulait laisser ses morts dans le froid.
Rosalie aimait passer par là, elle se sentait happer dans un autre univers le temps de ces quelques pavés. Pour elle, c’était un endroit sacré.
Devant le crématorium, elle aimait moins déambuler, pourtant il y avait une belle pelouse verte, toute l’année, des fleurs toujours écloses et vives comme si la mort ne cohabitait pas tout près. Il y avait trop de monde sur ce carré d’herbe. Des gens qui oubliaient qu’ils étaient dans un cimetière. C’est pour ça que Rosalie n’aimait pas cet endroit. Ils étaient à moitié nus lorsque le soleil perçait, cherchant à rendre leur peau un peu plus mate.
Tous les dimanches, Rosalie traversait le cimetière, sa chevelure au vent lui fouettait les joues. Quand elle sortait de l’autre côté, elle avait eu l’impression d’avoir vécu les mille vies des gens sous ses pieds. Elle les en remerciait avec un profond respect.

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