Un verre cassé

Marie s’entêtait à comprendre, elle voulait une explication nette et franche. A l’autre bout du fil, Géraldine rentrait dans un tunnel pour ne pas répondre, pour faire semblant de ne pas avoir entendu. La première technique d’esquive depuis la mise en circulation des téléphones portables.
Hier soir, Marie lui avait demandé de jouer franc jeu. D’abord, avec une affirmation simple sur une recette de sa grand-mère.
– Puisque je te dis que c’est bœuf ou poulet selon la saison.
Géraldine soupira et, dans son souffle, répliqua :
– J’m’en fous, chuis végétarienne !
Marie n’avait pas entendu ce retour cinglant, concentrée sur le partage d’une recette transmise de génération en génération avec des petits secrets sur les quantités, les pincées et les ingrédients mystère. Chaque génération avait ajouté son grain de sel.
Géraldine avait posé son téléphone en haut-parleur en coupant le son pour que Marie ne l’entende pas. Elle profitait de la logorrhée pour ranger, nettoyer, faire la vaisselle. Marie continuait sans relâche, elle ne se rendait même pas compte qu’elle n’entendait pas la respiration de Géraldine.
En essuyant la vaisselle, Géraldine s’était coupée. Un verre cassé et un pouce ensanglanté !
C’est à ce moment-là que Marie s’arrêta :
– Géraldine ? Géraldine ? T’es là ?
Géraldine appuya sur le bouton pour remettre le son avec son autre main, maladroitement.
– Oui, oui, je suis là. Pourquoi ?
– Ben tu ne m’as pas dit, vous en êtes où ?
– Comment ça ?
– Ben tu m’as dit que vous veniez, non ? Déjà, la semaine dernière, tu m’as plantée.
Géraldine entendit au loin dans le salon :
– Non, ça ne me gêne pas d’y aller ce soir.
– Ok Marie, on doit venir à quelle heure ?
– Là, d’ici max une heure, pour le dîner !
– On t’apporte quelque chose ? Une bouteille ? Le dessert ?
– Tu le fais exprès ou quoi Géraldine. Plus d’alcool, plus de sucre pour moi, interdiction du médecin. Et vu les antécédents dans la famille, tu devrais en prendre de la graine !
Géraldine enfila son manteau, il y avait son père derrière qui marchait d’un pas lent et vif à la fois. Ils prirent le métro à Saint-Mandé, c’était direct. Assis sur les sièges de quatre, son père s’attarda sur les différents arrêts.
– Je ne sais plus si je dois changer à…
– Pourquoi tu voudrais changer ?
– Attends que je réfléchisse à où je dois aller.
– Papa, on va chez Marie, elle nous a fait le plat de mamie.
– Ah oui, chez Marie, alors on doit changer et prendre la ligne 5 à Bastille, non ?
– Papa, c’est direct pour aller chez Marie, pas besoin de changement.
Après avoir monté les marches du métro et les quelques marches jusqu’au perron de Marie, Géraldine sonna à la porte.
– Salut sœurette, en forme ?
– Ah vous voilà enfin !
– Bonjour ma chérie, qu’est-ce que tu ressembles à ta mère.
– Oui, Papa, je sais, tu me le dis à chaque fois. Allez, allez, ça va refroidir. Vous m’en direz des nouvelles. J’ai mis ma petite touche.
– Délicieux, s’exclamèrent-ils la bouche encore pleine.
– Encore meilleur que celui de ta mère, rougit le père.

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire