Écrire comme lorsque l’on a sept ans

Petit papier tiré de l’urne lors de l’atelier d’écriture. Je ne suis pas sure d’y arriver. Qu’est-ce-que l’on écrit à sept ans ? Une carte de vœux ou un petit bonjour de vacances à ses grands-parents. Un texte pas trop long avec des fautes d’orthographe… Si l’inspiration vient à manquer on rédige sous la dictée des parents.

Huit ans, elle fête son anniversaire. Un gros gâteau, des bougies et la promesse faite à ses parents que son entrée en CM1 lui permettra de progresser en orthographe.

Elle a une nouvelle maitresse : une gentille maitresse jeune, jolie. Une jeune femme patiente et attentionnée. Celle de l’an dernier lui faisait copier des pages et des pages de mots mal orthographiés. Un jour par inattention elle a copié cent fois un mot avec une faute. Devant le courroux de la maitresse son cœur a battu plus vite et elle n’a pu que bredouiller une excuse. La sentence est tombée : privée de récré toute une semaine et des pages de mots à copier.

La nouvelle maitresse encourage toutes ses élèves. Les mauvaises en calcul ou en orthographe sont sous son regard bienveillant et bénéficient de son soutien.

Elle va maintenant en classe sans une boule au ventre et ses notes progressent. A la maison ses parents ne sont toujours pas satisfaits et elle est toujours sous la pression des : tu peux mieux faire, tu peux mieux faire !

Elle découvre avec bonheur que l’école ce n’est pas seulement du calcul et des dictées. L’école avec cette maitresse, ce sont des sorties au théâtre avec « le bourgeois gentilhomme », quel émerveillement devant les costumes, la musique et les décors. Une autre fois, ce sera le musée Rodin. Là encore, la magie opère et elle reste sans voix devant « les bourgeois de Calais » si grands, si beaux dans leur douleur. Elle recevra comme un cadeau la visite du Jardin Albert Kahn. Le rouge lumineux de son petit pont japonais restera pour toujours dans sa mémoire.

Elle s’applique, elle écoute avec attention, elle a envie de faire plaisir à la maitresse. Ses notes se sont améliorées et sa vie d’écolière également. Les filles de sa classe lui parlent et même jouent avec elle. L’an dernier elle était presque toujours consignée pendant les récréations. Les autres élèves ricanaient lorsque lui étaient rendues ses dictées.

Le samedi matin est une bulle de liberté. Après la lecture on peut choisir travaux de couture ou dessin. La maitresse commente des actualités culturelles. Elle parle des pièces de théâtre qu’elle a vues, des concerts, de la ville la nuit. Toute la classe se ferait couper en rondelles pour cette maitresse qui a su mettre de la couleur dans la vie de ses élèves et qui a des sourires dans les yeux.

Ses notes se sont encore améliorées, maintenant elle ose écrire et une de ses rédactions a été lue devant la classe.

Juin : l’année scolaire a un avant-gout de vacances et la dernière semaine clôturera l’année avec la remise des prix. Pour la première fois, elle a obtenu une récompense. La maitresse fait choisir les livres aux élèves en commençant par le premier prix. Elle ne choisira pas et prendra le livre restant mais qu’importe…dernière sonnerie de l’année, les filles sortent dans un joyeux désordre.

Le jour de la rentrée en CM2, elle est prête. Une nouvelle maitresse, une nouvelle classe, elle est un peu inquiète. L’enseignante a le regard sévère et prévient qu’il lui faut du travail et pas de bavardage. Bon on verra bien à l’usage.

Elle suit mais avec moins d’enthousiasme. Ses rédactions sont toujours lues en classe et elle est félicitée pour son travail. Pour la première fois, dans les devoirs à faire à la maison il y a une rédaction, le sujet en est la nuit. Une page entière sur la nuit. Alors elle repense à sa maitresse de CM1 et assise à la table de la cuisine elle se lance.

Elle raconte la ville, le théâtre, les spectateurs qui s’habillent chics, quelques fois les dames mettent des robes longues. Il y a le spectacle et après le souper au restaurant et le retour dans la nuit avec la tête en fête. Elle croit se souvenir des descriptions de sa maitresse : une page tout juste !

Son père lit son texte avec attention puis explose. Qu’est-ce-que c’est que ce travail, où vas-tu chercher toutes ces conneries ? Tu connais quoi à la vie la nuit ? Elle écoute le silence s’installer, elle ne comprend pas cette violence. Devant les reproches muets de sa mère elle retient les larmes qui affluent dans ses yeux. Furieux. Il est furieux et froidement, d’un geste brusque, il déchire la feuille en quatre. Tu recommences et maintenant tu écris comme une petite-fille. Ce soir-là son cœur s’est brisé, elle est morte à l’intérieur et tout s’est enchainé. Elle a coulé à pic et sa scolarité avec. Mais dans son cœur d’enfant, elle gardera sa classe de CM1 comme une parenthèse enchantée.

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