La collectionneuse

Daphné collectionne. Depuis qu’elle est toute petite. Même avant de savoir ce que cela voulait dire. Cela fait partie intégrante de sa vie. Mais elle ne collectionne pas comme tout le monde. Elle collectionne en secret, sans jamais dévoiler sa collection. Jamais même dire qu’elle le fait. Beaucoup de gens s’en doutent mais ils se trompent toujours sur le quoi. On pourrait croire que c’est les jolis carnets. Les stylos plumes. Les papiers à lettres. Mais non, rien de tout cela. Sa collection est bien plus personnelle et bien plus unique. Daphné collectionne les rêves. Ses rêves et ceux des autres si ils les partagent. Du plus loin qu’elle se souvienne, elle s’est toujours rappelée ses rêves et elle les a toujours gardé précieusement. Dans sa tête et près de son cœur. Dès qu’elle a su écrire, elle les a transcrit sur des feuilles puis dans des carnets. C’est devenu un rituel pour elle. Tous les matins, elle prend le temps d’inscrire dans son carnet ce qui s’est passé la nuit. Qu’il soit insignifiant ou alambiqué. Rêve ou cauchemar. Complet ou morcelé. Elle ne manque jamais cet instant. Elle a toujours papier et crayon sur elle aussi. On ne sait jamais quand on aura le temps de rêvasser dans la journée. Eller ne veut rien rater. C’est presque devenu une obsession. Elle ne peut pas ne pas retranscrire toutes les histoires que produit son cerveau.

Daphné est aussi friande des histoires des autres cerveaux. Même si elle a remarqué que dans on entourage, ils sont moins prolifiques. Elle a un carnet spécifique pour ces rêves-là. Il ne faudrait pas les mélanger aux siens. Elle trouve fascinant de voir comment l’esprit des autres fonctionne. Elle dissèque et met en rapport les éléments du rêve et les éléments de la vie. A force d’étudier les siens, elle a vu des schémas se mettre en place. Certaines personnes viennent spécifiquement pour qu’elle inter prête leurs rêves. D’autres, au contraire, ne dévoilent rien de peur qu’elle les analyse. Malgré cet intérêt non dissimulé, personne ne se doute de l’existence ou de l’étendue de sa collection. Elle ne l’expose jamais à la vue des gens. Ce qui est visibles, ce sont les outils qui l’aident à la mettre en place. Les étagères de son salon sont remplies de carnets de toutes tailles et de tous coloris. De jolis papiers à lettres. De crayons avec lesquels ont aurait presque pas envie d’écrire. Accumulés au fil des ans par elle. Ou offerts par les autres. Elle aime ce décor qu’on pourrait aussi appeler des collections.

Mais la vraie, elle , se cache aux yeux de tous. Celles des carnets et feuilles remplies n’existent que pour elle. Pendant longtemps, elle était caché dans les placards ou sous le lit. Jusqu’au jour où Daphné a voulu leur donner un endroit dédié. Les sortir du placard. Alors elle a profité de refaire sa salle de bain pour créer une pièce secrète. Une pièce entre la salle de bain et la chambre accessible uniquement en tirant 4 livres bien précis de la bibliothèque. Un aurait été trop risqué. On ne sait jamais que quelqu’un tire dessus par accident. Après pourquoi 4, elle ne sait pas mais cela semblait approprié. A l’intérieur, des étagères jusqu’au plafond avec une petite échelle pour les atteindre. Tout n’est pas encore rempli. Il y a des trous un peu partout. Elle a testé plein d’organisations différentes, mais le mieux reste par ordre chronologique. Parfois, elle y va pour prendre au hasard un carnet et le feuilleter. Parfois juste pour passer sa main sur les tranches. Parfois pour se couper du monde.

Au même titre qu’elle a mis en place une routine pour le matin, elle en a une pour le soir aussi. Pour mieux rêver. Toujours elle ouvre en grand les fenêtres de la chambre. Pour se rappeler de la journée. Vérifier si les toits ont séchés. Respirer l’air de la nuit. Après quelques instants, elle ferme les volets puis tire les rideaux. Elle se laisse guider par ses souvenirs sans lumière. Dans la salle de bain, elle se dévêt de la journée. Maquillage, coiffure, vêtements. Comme les morceaux d’une carapace bien étudiée. Un à un. Puis elle se glisse dans le confort de son pyjama et de sa couette. Selon son humeur, elle laisse son esprit libre ou alors elle lit. Mais toujours le sommeil l’emporte rapidement jusqu’au matin. Tout autre aspect de sa vie peut changer mais pas cela. Peu importe où ou avec qui.

En plus du papier, elle a fini par inscrire sa collection sur sa peur. Elle a commencé par un tatouage sur le bras, symbolisant son rêve le plus marquant. Maintenant, elle a une sleeve complète, un sur les côtes, un sur une cuisse et pleins de petits qui parsème son corps. Comme pour les rêves, elle ne sait plus s’arrêter. Puis elle a son tatoueur attitré maintenant. Gaultier est patient, attentionné et ses dessins sont magnifiques. Tout ce qu’il faut pour un bon tatoueur. Il lui a été recommandé par une collègue. Au départ, elle a essayé de les caser ensemble mais cela n’a pas fonctionné. Tatoueur-tatoué voir amis, c’est bien suffisant. Gaultier est peut être le seul à qui elle a avoué sa collection. A mots voilés et par sous-entendus. Il n’a rien dit, souvent il ne dit rien. Il l’écoute puis retranscrit en dessin ce qu’elle lui a dit. D’ailleurs, tant qu’elle y pense, elle ne s’est pas fait tatouer depuis un moment. Elle continuerait bien celui sur sa cuisse en descendant vers le mollet. Il lui faudrait vérifier ses finances et les disponibilités de Gaultier.

Daphné est tirée de ses pensées par un miaou et la sensation de fourrure sur son bras. Flonflon et Musette, ses deux chats, la regardent intensément. Ils semblent vouloir quelque chose. Elle passe sa main dans le pelage de l’un puis de l’autre avant de regarder l’heure. 16h30. L’heure de la pâtée. Ils sont extrêmement ponctuels. Tous les jours, ils viennent réclamer à la même heure. Elle se lève et se dirige vers la cuisine en essayant de ne pas écraser un des chats. Le concert des miaous se fait de plus en plus insistant dès qu’elle sort les bols. Une fois servis, elle reste à proximité car Flonflon essaye toujours de voler la pâtée de Musette. on sait jamais dès fois que ce soit meilleur à côté. Une fois les gamelles vides, ils demandent à sortir. Daphné imagine toujours qu’ils vont paradés dans le quartier pour narguer les autres chats. « Nous, on a mangé de la super pâtée. »

En regardant par la porte ouverte, elle sent la chaleur du soleil sur sa peau et le doux effluve des roses non loin. Elle attrape ses lunettes de soleil. Pas la peine de passer sa vie à éternuer. Puis elle sort pieds nus dans le jardin. D’abord, il y a la dureté du béton de l’allée puis la caresse de l’herbe. Elle fait le tour des fleurs, des plantes aromatiques. le jardin n’est pas grand mais assez pour une petite terrasse pour recevoir. Un potager pour se faire plaisir l’été. des parterres de fleurs pour la couleur. De la pelouse pour se poser au soleil. C’est d’ailleurs ce qu’elle décide de faire. le soleil est doux et une petite brise fait bruisser les feuilles. Daphné fermes les yeux mais cette fois-ci ce n’est pas pour rêvasser. Elle doit penser. Réfléchir. Prendre une décision. Terminer ou non une histoire. Miranda ne lui a pas laissé d’ultimatum mais Daphné c’est qu’elle doit prendre une décision rapidement.

Leur histoire a commencé sans prise de tête. Grâce à Gaultier. Miranda est venue prendre des renseignements et Daphné se faisait tatouer. Il a proposé que Miranda assiste à une partie de la séance pour voir. En temps normal, Daphné aurait refusé mais quelque chose l’a attiré chez Miranda. Pour une fois, le silence n’a pas régné pendant la séance. la conversation couvrait le bruit des aiguilles. Et elle a vu Gaultier lui lancé des sourires en coin. Elle s’en moquait. A la fin, Miranda l’a invité à boire un verre pour la remercier. Daphné a accepté sans hésiter. Se surprenant encore une fois. Le reste est une histoire sans accroc, sans promesses. Juste vivre au jour le jour. Enfin jusqu’à maintenant. Daphné sent que Miranda voudrait plus. Attend plus. Et elle sait qu’elle aussi en réalité. Jamais avant elle n’a cliqué autant avec quelqu’un. C’est facile et fluide. Elle peut tout lui dire. Enfin presque. Tout sauf sa collection. Et cela commence à prendre de la place entre elles-deux. A creuser un fossé que Daphné ne sait pas combler. Enfin si elle sait. Mais elle ne sait pas si elle veut. Est-elle prête à dévoiler son plus grand secret ? Celui qu’elle n’a jamais révéler à personne. Au fond peut-être que la question est plutôt que regrettera-t-elle le plus ? De n’avoir pas essayé ou de se donner une chance en risquant de se casser la gueule ? Laisser tomber maintenant est moins risqué. Pourtant rien que le fait d’y penser, Daphné en a mal au cœur. C’est peut-être cela la réponse. Si elle ne peut même pas penser à se séparer de Miranda, c’est qu’elle ne le doit pas. Mais pour cela, elle doit dévoiler la dernière part de sa vie.

Daphné ouvre les yeux et se redresse. Elle cligne quelques instants avec la luminosité soudaine puis attrape son téléphone. Avant de se dégonfler, elle envoie un message à Miranda pour l’inviter ce soir. Celle-ci accepte aussitôt pour 20h. 17h, Daphné a 3 heures pour se préparer physiquement et psychologiquement. Elle se dirige vers la maison en faisant mentalement la liste de ce qu’elle a à faire. D’abord, aller chercher le pain puis un rôti et des patates en repas c’est bien. Elle a un bon fromage et une bonne bouteille. Elle peut trouver un dessert à la boulangerie. Une fois le repas mit en route, Daphné décide de se préparer. Une bonne douche, les cheveux lâchés et quelques traces de maquillage, elle se retrouve enserrée dans sa serviette éponge moelleuse devant le dressing. Une robe ? Un chemisier et tailleur ? Non, ce n’est pas vraiment son style et Miranda le sait. Daphné choisit un jean qui la met bien en valeur et un t-shirt dans lequel elle est à l’aise. Elle opte pour rester pieds nus. 19h, plus qu’une heure. Elle vérifie le repas et met la table. Il ne reste plus qu’à attendre.

Son esprit commence à trainer. Est-ce vraiment une bonne idée ? Et si Miranda se moque ou pire claque la porte ? Pour s’empêcher de s’imaginer les pires scénarios, Daphné se réfugie dans sa pièce secrète. Elle la laisse ouverte pour ne pas manquer Miranda. Puis elle contemple les carnets, passe sa mains sur les tranches, hésite devant certains. Jusqu’à arriver à une section particulière. il y a peu de carnets. Cette section est nouvelle mais c’est la plus précieuse à ses yeux. C’est celle de Miranda. Les rêves de Daphné à son propos et les quelques rêves qu’elle a partagé. De les parcourir lui rappelle pourquoi elle fait cela. Parce que son cœur résonne dans sa poitrine quand elle pense à elle. Parce que son sourire s’élargit quand elle la voit. Parce qu’elle peut imaginer un futur ridé avec elle. Parce que les rêves sont doux et sucrés. parce que les seuls cauchemars sont sur son départ. Daphné est plongée dans ses carnets quand la sonnerie retentit. C’est l’heure de vérité. Elle referme la pièce et retrouve Miranda. Elles s’étreignent et s’assoient à table. Miranda sent que Daphné est tendue mais ne comprend pas pourquoi. Le repas se déroule du mieux possible et le stress de Daphné monte de plus en plus. Jusqu’à ce que Miranda pose sa main sur la sienne et lui sourit. Alors c’est le déluge des mots. Daphné ne peut plus s’arrêter et Miranda écoute attentivement sans juger. Juste heureuse de faire enfin partie complètement de la vie de Daphné.

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