Le Nouveau Monde

Moi, Sally, je rêve d’un monde où je suis libre de mes mouvements, où la nature et l’humanité prédominent.
La liberté est mon trésor, elle n’est pas transmutable, elle n’est pas négociable, elle est ma source de vie.
Telle la pluie sans discontinuer depuis le milieu de la nuit, son mouvement n’est pas entravé.

La chanson d’Edith Piaf :  » Quand il me prend dans ses bras, qu’il me parle tout bas, je vois la vie en roseuh » ne cesse de résonner dans la tête de Sally, tous les matins pour des raisons qu’elle ignore.

Oui, tous les matins, lorsque la lumière jaune du levant perce à travers les stries du ciel et où les rayons cognent et traversent le tissu de son rideau de couleur rose, cela vient colorer la pièce d’une chaleur rose réconfortante.
Ce n’est pas anodin si c’est la chanson d’Edith Piaf qui résonne en fait, elle s’adaptait parfaitement à ce décor enchanté.

En fait, c’était ça la question : Sally, l’aimait-elle vraiment ?
Elle se terre dans le silence.
Au début, elle pensait à lui tous les jours, du matin au soir, mais ne le voyait jamais. Elle craignait de ne plus le revoir, car il était engagé en tant que militaire, au sein de l’armée numérique du nouveau monde de Facebook.

Il devait combattre, les pirates de la résistance, refusant de se plier à l’identité numérique et à la réification de l’espèce humaine. Elle espère de tout son coeur qu’il va bien.

Elle devait se marier avec Simon, mais craint que son voeu qui n’a pas été exaucé en 2021 vient d’être condamné à s’effacer.
Simon lui avait fait la promesse de se marier, Sally s’était mise à repenser au moment de cette promesse.

Simon, lui avait dit : « je serai vêtu d’habits rouges, couleur de la passion et de l’amour et nous vivrons sans nous arrêter ».
Ça sonne comme des échos dans la tête de Sally.

Sa grand-mère l’appelle pour lui dire de venir goûter du pain d’épice tout chaud. Sa grand-mère c’était son diamant, le précieux de sa vie, elle la berçait étant petite au chant « d’alouette gentille alouette ».
Elle avait 80 ans toujours apprêtée, coquette et parfumée au jasmin.

Pour Sally, la cuisine avec sa grand-mère est un moment sacré qui ne pouvait être dérangé que par une mort soudaine.

Elle alla en cuisine pour partager ce pain d’épice encore chaud avec sa grand-mère.
Après 3 minutes de dégustation, son téléphone retentit. Elle voit le QR code de Simon s’afficher, lui qui n’avait pas donné de nouvelles depuis de longues semaines.
Le dilemme : interrompre ce sacro-saint moment avec sa grand-mère et répondre à Simon ou pas ?
Elle n’a pas décroché de suite, mais a écourté ce moment délicieux pour le rappeler quelques minutes plus tard.

La discussion s’enclencha aussitôt :

 » – Simon, c’est moi Sally, c’est toi ? Tu pars quand de là-bas ? Tout va bien ?

– Salut Sally, excuse moi, je n’ai pas pu te donner de nouvelles.
Plus d’un million de résistants au nouveau monde a été interpellé, ils sont dans un centre de rétention et j’ai dû m’occuper de toute la partie administrative avec la création de leur QR code. Désolé.

Sinon, ça va toi ? J’ai pu voir, en tapant ton QR code, que tu étais allée au cinéma voir Matrix et tu as pris une petite gaufre au chocolat blanc chez Charlie.

– Euh…bah comment tu le sais ?
– Bah avec ton QR code Sally, on peut voir ce que chacun fait, t’as oublié
– Bon, c’est un peu bizarre tout ça pour moi. J’ai un peu peur pour toi
– Ne t’inquiète pas, un jour, je partirai d’ici »

Au fond d’elle, elle en doute, mais cache sa gêne ; elle reprend :
« – Tu sais, j’aimerais te toucher du bout de mes doigts, ça me manque. Et je préfère aussi qu’on s’écrive des lettres minimum deux fois par semaine, je pense souvent à t’écrire, mais je n’ai pas d’adresse.

– Sally, pas besoin d’écrire des lettres, on a la messagerie instantanée, c’est plus simple

– Plus simple, alors pourquoi j’ai dû attendre plus de 6 semaines pour espérer cet unique appel libérateur ?

– Je sais, j’essaierai de ne plus jamais mettre de côté nos moments à nous.

– Nos moments à nous ? Je ne te vois pas Simon, est-ce que tu comprends ce que je te dis ?

– Attends Sally, j’ai une solution, on peut se marier à distance via la nouvelle application de Facebook. Ça s’appelle Métaverse, on ressent exactement les mêmes sensations que dans la vie réelle.
Et puis Mark Zuckerberg nous dit que nous marier à distance avec les sensations du réel, c’est pour notre BIEN Darling, alors s’il le dit, c’est que c’est vrai forcément ».

Sally raccrocha, elle prétexta une urgence.
Elle voulait se transformer en flaque d’eau pour irriguer le petit pot encore fébrile, de géranium qui trônait sur le balcon.
Elle pensait soulever une trappe imaginaire pour s’enfoncer au plus bas du sous-sol, car elle comprit, qu’elle ne le reverrait plus jamais en vrai.

Elle s’imagina de rêver d’un enterrement grandiose de ses souvenirs avec Simon.

Son téléphone reçut un message, c’est Simon qui écrivit
 » Sally, on aura un mariage superbe à travers Méta, et aussi, je voulais te dire de faire attention à ta grand-mère, elle n’a pas renouvelé son QR CODE, elle risque gros ».

Comment pouvait-elle se rendormir après ça ? Elle l’aimait, elle l’aime encore.
Alors, elle se décide de le retrouver réellement sans lui dire.
Pour Simon, c’était pas top non plus, la gêne de Sally, l’avait assailli, il a décidé de faire une longue pause et de marcher sur les bords d’un trottoir.

Il rappelle Sally, elle décroche :

« – Oui allô Simon,
– Oui Sally, désolé, je m’empresse un peu avec toutes ses nouvelles technologies, mais je veux aussi te voir en vrai
– Ah bon, mais Zuckerberg t’as dit que l’utilisation de métaverse était pour ton bien. Ça compte moins pour toi ?
– Bien sûr que ça ne compte pas du tout même. Je voulais juste nous protéger
– Bon, Simon, je suis en route pour te voir. Passe-moi l’adresse.
– Sally, je ne sais pas où je suis exactement, je suis en mer entre Paris et Montréal. C’est une base classée « secret défense »
– Tu parles comme un prisonnier. Tu peux décider de démissionner tout de même
– C’est compliqué, j’ai réalisé que je t’aime plus que tout, je vais démissionner et te rejoindre.

Sally pleure et lui dit d’un petit son de voix « ok ».

FIN DE LA CONVERSATION

Sally n’a plus jamais eu de nouvelles.
Au fond d’elle, elle criait de douleur et depuis elle se mit à écrire pour libérer sa peine.

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