Le vieil homme et l’enfant

Il fait à peine jour, les réverbères éclairent faiblement les rues. C’est l’hiver, le vent souffle en rafales sur les toits de la ville, le froid efface les sourires des visages. Joseph part à l’école avec son cartable trop lourd. Il court rejoindre ses camarades. Ce soir après la classe, comme tous les jeudis, il rejoindra sa maman sur son lieu de travail. Elle est employée par un homme étrange, un vieux bougon qui habite près de chez eux.

Un vieux monsieur qu’il voit toujours assis à son bureau en train de dessiner. Sa maison est encombrée de tout un bric-à-brac auquel il ne faut surtout pas toucher. Des centaines de livres sont alignés sur les étagères mais d’autres sont en piles plus ou moins écroulées un peu partout dans la pièce.

Pour parachever ce désordre Monsieur Charles a tendu des fils en travers de la pièce et y accroche ses dessins à l’aide de pinces à linge. Il y en a partout.

C’est un homme étrange, il semble pauvre, porte des vêtements usagés couverts de taches de peinture. Il a mauvais caractère et pourtant beaucoup de gens viennent le visiter. Des personnes importantes qui le saluent avec des « Maitre Charles ». Cela étonne Joseph mais il ne dit rien, il observe ce monde qui n’est pas le sien, écoute les conversations qui lui semblent dans une langue inconnue.

Joseph est discret, sa maman lui a bien expliqué : il ne faut pas déranger Monsieur Charles. Alors sans bruit le garçon s’installe sur un petit coin de table pour faire ses devoirs. Lorsqu’il a terminé il regarde le vieil homme travailler. Il peut avec quelques coups de pinceau faire surgir des choses ou des êtres extraordinaires. Joseph apprend à regarder en silence.

Plus le temps passe, plus il prend de plaisir à ces rendez-vous hebdomadaires. Chaque jeudi il doit expliquer à Monsieur Charles qu’il est Joseph le fils de son aide-ménagère, mais le vieil homme s’obstine à l’appeler « moineau ». Il faut dire que Joseph est très brun et tout menu. Au fil du temps l’enfant et le vieil homme se sont liés d’une belle amitié. Joseph a fini par passer tous les soirs. Il s’installe sans bruit au bout de la table et faits ses devoirs. Il aime l’ambiance de l’atelier du peintre, il aime l’odeur des peintures, il aime regarder ce vieux monsieur travailler. Avant leur rencontre Joseph ne savait pas que dessiner pouvait-être un métier.

Monsieur Charles change imperceptiblement, il faut lui parler plus fort que d’habitude, il fait répéter les conversations, oublie de changer de vêtements : bref sa vie bien réglée cafouille un peu mais ses dessins sont toujours aussi beaux. La maman de Joseph vient maintenant travailler plusieurs jours par semaine.

La curiosité de Joseph grandit, il s’est enhardi et explore la bibliothèque. Il n’aurait jamais imaginé que le peintre avait illustré autant de livres : des contes, des descriptions de ville, des romans, des livres satyriques et même des histoires de fantômes. Joseph en est sûr, il a un ami magique.

– Dis-moi moineau, quelle est la première chose que tu fais le matin après ton petit déjeuner ?

– Eh bien je pars très vite pour l’école car je suis toujours en retard. Et vous Monsieur Charles ?

– Moi vois-tu, depuis toujours je dessine. Enfant j’avais inventé un petit personnage, un lapin. Nous avons vécu beaucoup d’aventures lui et moi. Ce lapin je le dessine tous les jours. Il me porte bonheur pour ma journée. Rien n’étonne Joseph et lorsqu’il raconte cette histoire à ses parents son père rit comme à une bonne blague ; décidément son père ne comprend rien.

Les jours, les mois, les années passent. Monsieur Charles ne va pas bien. Pourquoi ? Parce que depuis plusieurs jours son lapin est devenu récalcitrant, il refuse de s’habiller, perd des boutons sur son habit et après sa sieste Monsieur Charles se retrouve devant une page blanche. Son lapin s’est enfui, il a disparu. Comment expliques-tu cela, moineau ?

Joseph n’a pas vraiment d’idée.

– Peut-être ne l’avez-vous pas dessiné !

Monsieur Charles est déçu de cette réponse. Il montre à l’enfant les petites taches d’encre fraiches sur le bureau.

– Tu vois bien qu’il est parti, regarde les traces de ses pattes.

Joseph raconte l’histoire à sa mère. Il perd la tête Monsieur Charles, cela devient même très compliqué. Il mélange tout et se met en colère pour rien.

L’été est revenu. Monsieur Charles décide de peindre dans le jardin. Après bien des discussions la maman de Joseph a obtempéré et tout installé pour que le vieil homme puisse travailler.

Même dans le jardin son lapin lui en fait voir de toutes les couleurs Il est habillé n’importe comment. Lorsqu’il se réveille de sa sieste Monsieur Charles découvre sa page blanche et des petites taches d’encre pas encore sèches partout sur sa table de travail.

En levant la tête il voit au milieu de la pelouse son lapin qui se roule dans l’herbe, fait des cabrioles, part, revient puis fait signe à Monsieur Charles de le suivre.

Alors monsieur Charles n’hésite pas, il va le suivre. Tout à coup il se sent plus léger, il s’envole et va le rejoindre.

Ce contenu a été publié dans Atelier Petits papiers. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire