Danser en attendant

Jeanne danse lentement au milieu du jardin. Il fait beau ce matin et, sous ses pieds nus, elle sent la rosée et l’herbe trempée. La casquette orange vissée sur la tête, lissant son k-way de ses doigts blancs, elle s’élance. Aujourd’hui, elle veut travailler les sauts. Elle cherche à jeter directement sa jambe gauche, en prenant appui sur la droite dans que l’effort ne soit visible.

Chaque jour elle a un programme. Dans un mois le confinement devrait se terminer et les cours reprendront. Pendant ce temps suspendu, son objectif est de progresser, temporiser lentement. Se poser un peu aussi. Pour s’occuper, elle travaille au potager. Désherber, cueillir, observer les transformations. Les fraises étaient presque mûres mais elles seront immangeables : les chatons les ont goûté. Goûté et abandonné ; ils n’ont pas dû apprécier. Elle s’assoit parfois près du figuier pour écouter en podcast les conférences d’Etienne Klein. Elle a parfois mal aux jambes, aux pieds, mais elle sent ce désir fou de danser qui grandit, sans rien contrôler.

Sur Parcoursup elle a coché philo, sciences médico-sociales et droit. Pour la danse, elle ne sait pas. La mère d’Arthur l’encourage à mi-voix. Elle sait que Jeanne n’en parle pas à ses parents. Jeanne retourne vers la maison, attirée par l’odeur des crêpes. C’est Samuel qui s’est mis en cuisine. Il écrase des cacahuètes pour les glisser dans sa crêpe. Tout le monde rit : Encore tes cacahuètes, Samuel ! Mais dans les crêpes, on met du beurre et du sucre… Ou de la confiture de fraises mangées par les chatons, coupe Jeanne. Tout le monde la regarde. Elle a les pieds plein de boue et un sourire jusqu’aux oreilles.

Est-ce que la danseuse va se laver les pieds avant de les mettre sous la table ? ironise Samuel. Jeanne rougit. Maintenant elle est pétrifiée.

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