Tout au bout de la plage noire

Il dessinait, installé tout au bout de la plage noire. Il venait tôt le matin, quand l’île était encore à moitié endormie. Dans le silence embué de l’humidité de la nuit, il regardait surgir ses fantômes. Il y avait son père, souvent ; sa mère, parfois et Stella, toujours. Il avait adoré ses parents mais n’avait jamais osé leur avouer la vérité. Sa connaissance approfondie de la tectonique des plaques lui avait fait craindre le pire, mais il s’était tu. Il pensait à eux comme à un merveilleux jardin de roses célestes. Ils avaient perdu toute incarnation et pourtant, leur couple le hantait.

Stella, c’était autre chose. Après sa mort, il n’avait plus été le même. Au début, il avait cru que c’était l’effet du choc. Même si elle était malade, même si ses études de médecine lui avaient donné toute la lucidité pour comprendre qu’un jour elle disparaitrait, il avait constaté qu’il ne s’en remettait pas.

S’en remettre. Il ne comprenait pas ce que c’était sensé dire. Mettre de nouveau à soi ? Mais quoi ? Il s’était essayé au piano, jouant des airs que sa sœur avait aimés. Il s’était perfectionné dans plusieurs sports de combats ; il avait abandonné le tennis, puis avait repris. Espérait-il que ses adversaires le renseignent sur lui-même ? Sur l’énergie de vie qu’il détenait encore ?

Quand il découvrit l’île, il sentit que c’était là son lieu. Un île sans arbres, un île caillou, une île de fleurs qui s’enracinent dans la pierre et, tout au cœur de l’île, les battements du volcan. Il fallait attendre la nuit pour voir couler d’épaisses langues de lave qui venaient se jeter dans la mer. C’était splendide. Il fallait grimper au cratère pour voir les explosions surgir des entrailles de la terre.

Il y vint d’abord au printemps, puis l’hiver. Il mit au repos son cabinet médical, fermant sans prévenir ses patients, rouvrant à sa guise. Bientôt, il se retrouva souvent seul devant son bureau, observant par la vitre de la petite armoire les ustensiles qui ne servaient presque plus. Il préparait alors ses bagages et comme dans un rêve s’acheminait vers l’île, traversant le pays en train, attendant parfois plusieurs jours le bateau qui l’amènerait là, sur cette plage noire, tout au bout, là d’où on ne voyait plus le village, là où les herbes sauvages empêchaient de poursuivre.

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