Artiste peintre

Mais qu’est-ce qui m’avait pris de tout barbouiller ainsi ? Depuis quelques mois, je m’essayais à la peinture. La furieuse envie de peindre des aquarelles m’était venue après avoir découvert Georgia O’Keaffe. J’avais adoré. Et je ne sais pas pourquoi, l’idée avait germé de prendre pinceaux et palette. L’atelier était animé par un prof sympa et l’ambiance avec d’autres futures peintres était tout aussi agréable. Je sentais que je n’avais pas beaucoup de talent mais j’aimais ces temps de création tranquille. Et curieusement, je progressais. Enfin, le prof me l’avait fait remarquer avec un enthousiasme débordant qui m’avait fait lever les sourcils à défaut des yeux au ciel.

Ce jour-là, il admirait mon oeuvre comme si j’étais à moi toute seule Picasso, Renoir et Dali réunis. Du grand bordel. J’avais envie de lui dire de se calmer, que si je lui plaisais, il suffisait de me le dire et de me payer un café mais qu’il arrête de délirer sur mes coquelicots. Je les peignais à ma convenance. Rien à foutre du rouge. Je les barbouillais de bleu, de vert, d’orange, de jaune. La grande valse des couleurs primaires et secondaires. Une vraie marchande de couleurs. Il continuait de m’encourager, poussant des « Oh » et des « Ah » que je trouvais aussi indécents que stupides. Mes copines peintres avaient levé le nez de leur toile et pinceau en l’air observaient. Elles s’étaient rapprochées de mon tableau et Émilie s’était exclamée que mes coquelicots « vaguenaudaient ». Il lui avait fait remarquer que ce verbe n’existait pas. J’étais alors entrée en piste. « Bien sûr, oui, ce verbe existe, voulant dire se laisser porter par les vagues et que mes coquelicots, portés par le vent, vaguenaudaient. »On m’avait alors regardé comme si j’étais la femme de Larousse et la maîtresse du Petit Robert. Mais après tout, une langue n’est pas figée. Ellle évolue. Donc, « vaguenauder » prendrait peut-être place un jour dans les dictionnaires. Personne n’avait renchéri. Forcément, y’avait rien à ajouter. Mais lui, continuait à vanter ma technique, mon audace, ma transgression dans les couleurs. Une furieuse envie de lui envoyer mon pinceau sur la face m’a tenté. J’ai alors attrapé le plus gros pinceau et de la peinture noire. D’un coup d’un seul, j’ai balayé ma toile. Fini la valse des couleurs. J’allais dans tous les sens à la vitesse d’un Monet piqué par une armée de guêpes. « Mais qu’est-ce que tu fais ? » hurla-t-il. « Je crois que je veux devenir Soulages. L’outre-noir tu connais ? Cela te plaît ? Tu aimes un peu, beaucoup, passionnément ? » Les autres regardaient la scène, toutes étonnées. Émilie rompit le silence. « Là pour le coup, tes coquelicots ont vraiment vaguenaudé. La mer devait être sacrément démontée. »

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