Concours d’écriture

Cette attente m’est insupportable. Impression que je joue ma vie. Pourtant, ce n’est rien d’autre qu’un concours. Mais un concours putain, un concours ! J’en ai jamais passé de ma vie. Trop peur. Peur d’échouer, de ne pas savoir, de me retrouver face à un jury qui rirait de ma prestation et moi qui les regarderait comme un poisson manquant d’eau. D’y penser me paralysait. Mon corps souffrait. Mon ventre hurlait. J’avais donc renoncé à toutes sortes de concours et voilà qu’à la soixantaine bien sonnée mais pas encore tassée, je m’étais inscrite à un concours d’écriture, celui d’une pièce de théâtre. Rien que ça ! J’sais pas pourquoi, j’avais eu envie de donner la parole à tout un petit monde que je connaissais bien. À commencer par Moi et mettre en scène toutes ces situations burlesques ou pas qui m’avaient donné soit envie d’hurler, de réfléchir, d’avancer et de beaucoup rire. En fait, je voulais à moi toute seule être le couple Jaoui/Bacri. Une écriture au cordeau, ciselée, ingénieuse, l’art du bon mot qui fait mouche, tranchant et génial. J’avais envoyé un manuscrit d’une centaine de pages et je guettais les résultats sur mon Iphone que je ne lâchais jamais. Une possédée du portable, une hystérique de l’attente.

J’en avais passé des nuits à me torturer sur l’intelligence de mes propos. Je dormais peu depuis l’envoi. J’avais prévenu personne. N’aurais pas supporté les « Ça parle de quoi ? », « Tu parles de Moi ? » « Tu sauras quand si t’es reçue ? ». Recue ? Reçue !!?? Mais reçue à quoi ? J’m’étais posée la question. Oui, à quoi allais-je être reçue ? Au droit d’écrire une autre pièce ? Reçue par un metteur en scène me suppliant de le laisser mettre ma pièce en scène me promettant qu’elle serait jouée en Avignon et qu’elle récolterait un Molière. J’en avais même pas parler à Pierre. Il m’avait bien vu passer des soirées sur l’ordi. à taper comme une sourde mais habitué à mes écrits sur tout et sur rien, il n’avait pas pensé que sa femme pouvait être la nouvelle auteure théâtrale qu’on s’arracherait prochainement. Pourquoi avoir fait ça alors ? Besoin de reconnaissance ? Ma vie allait bien, merci. Qu’est-ce que je voulais vraiment ? Qu’est-ce que veulent tous ces gens qui écrivent et écrivent encore ? J’sais pas. Devrais leur demander.

Mon oeuvre était partie depuis plusieurs semaines déjà. Je ne dormais plus depuis quelques nuits. Raide comme la justice dans le lit à cogiter comme une dingue. Parfois, Pierre me touchait, pensant que j’étais paralysée ou morte ou les deux et se rassurait quand je remuais. Il se rendormait. Pas moi. La journée, j’me trainais. Avais envie d’appeler « Monsieur le chef du jury du concours, auriez-vous la gentillesse de foutre ma pièce au rebut. J’crois que j’me suis trompée. La fin, c’est pas ça et le milieu non plus. J’crois même que le début est à refaire ».

Je pensais à ma mère qui avait la manie de dire « Il est urgent d’avancer », ce à quoi mon père répondait invariablement « D’accord mais pour aller vers où, hein ? T’as une idée ? J’l’avais mis dans ma pièce. Mais ça ferait marrer qui ? Ça cognait fort contre mes tempes. Impression d’exploser en plein vol. D’être une marguerite serrée dans le bec d’un rapace. Tu parles d’une fleur. Mais au nom de quoi on s’inflige pareille torture ? Fallait que je quitte la maison. Et si j’allais dans une église ? Prier et trouver de la fraîcheur parce que les 40° degrés parisiens m’assommaient. Allez, je bouge. Douche, jean, tee-shirt et me voilà prête à demander à Dieu d’arrêter de jouer avec ma tête et mon corps. Mais qu’est-ce qui m’ prend? J’crois pas en Dieu. Ni en moi d’ailleurs. J’crois en qui alors ? En rien ? Non quand même !

Mon portable sonne. Connais pas le numéro qui s’affiche.
– Claire Astrid ?
– Oui, c’est moi.
– Bonjour, je vous appelle concernant votre participation au concours organisé par « L’atelier sous les toits ». Seriez-vous libre demain soir à 20h30?

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Une réponse à Concours d’écriture

  1. Emmanuelle P dit :

    Quelle verve ! C’est punchy, théâtral à souhait. Le texte me plaît beaucoup ; j’attends la suite !

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