Ici, là-bas. Ici ou là-bas. Ici et là-bas.

 

Ici, là-bas. Ici ou là-bas. Ici et là-bas. Marie hésitait sans cesse. Pourquoi toujours dans ses pensées et pourquoi toujours dans le même sens en plus ? Marie adorait jouer les oiseaux noirs, toujours négative et porteuse de mauvaises nouvelles. Elle adorait jouer à ce petit jeu psychologique désagréable qui consistait à comparer sa vie réelle ici avec sa vie imaginaire et rêvée dans ce là-bas hypothétique. Bien entendu, dans un sens comme dans l’autre, elle grossissait le trait. Ici, tout était chaos, névroses, fade et sans odeur. Tandis que là-bas, tout n’était calme, luxe et volupté. Elle ne savait pas précisément de quoi cet ailleurs serait fait mais elle l’imaginait merveilleux, rempli d’apéro, d’herbes hautes exotiques et de silence. Là-bas, elle pourrait changer de rôle, jouer à être quelqu’un d’autre, de mieux bien entendu. Elle devait cesser de rêvasser et de laisser sa vie passer sous le nez lui disait sa grand-mère japonaise. « Le monde est rempli de gens qui attendent chaque année le retour des hirondelles pour se lancer dans l’existence » lui répétait elle sans cesse. Marie voulait impérativement trouver une Lune à atteindre, une Lune sur laquelle il y aurait un panneau écrit « c’est ici » en lettres lumineuses tellement grosses et évidentes qu’elle ne pourrait pas les louper. Mais Marie avait des attentes et des espérances trop grandes. Si seulement, la vie était aussi simple. Son choix de vie ne serait pas indiqué sur un panneau directionnel d’autoroute. Elle allait devoir le trouver toute seule, en courant peut-être vu le retard qu’elle avait pris ses dernières années à toujours rêver entre les murs de sa chambre ou de l’université. Elle allait peut-être devoir se mettre au sport pour atteindre sa Terre à elle. Après être revenu de si loin, cela ne serait que justice non ?

Antoine cheminait en rentrant de l’école. Oui, il cheminait alors que sa mère lui avait vivement recommandé de rentrer d’un pas rapide pour éviter de tomber malade. Au lieu de ça, le garçon regardait tous les arbres autour de lui, il étudiait avec rigueur la crête longiligne que formait leurs cimes. Il voulait en mémoriser chaque détail pour tout redessiner avec exactitude une fois, chez lui, sur son lit. Il pensait même le temps d’admirer les racines des peupliers qui bordaient la route nationale de ce coin de France afin de reproduire toutes les nuances de marrons et tous les creux et veines du bois. Alors imaginez à quel point, il cheminait. Les recommandations de sa mère et le risque d’une mauvaise grippe lui étaient à ce point inconnus qu’il avait même oublié son écharpe et son bonnet dans la cour de son école. Il envisageait d’aller rendre visite à une belle pie toute noire dont il connaissait l’emplacement du nid, un peu en retrait du chemin, à l’abri dans un sous-bois. Quand Antoine était dans cet état de songerie, il ne pouvait répondre de rien. Il oubliait tout et vivait que pour ses arbres et ses dessins à venir. Son entourage et sa mère en particulier avaient l’habitude mais pour autant elle ne comprenait toujours pas la hiérarchie des priorités. Comment la bonne santé ne pouvait elle pas passer avant une belle image quand bien même donnerait elle une belle œuvre ? Mais pour Antoine, un gramme d’art valait bien toutes les grippes de l’hiver et bien plus encore. Il était prêt à être malade et éloigné de ses petits camarades pendant quelques jours pour réussir son chef d’œuvre car Antoine en était sur, un jour il réaliserai l’œuvre de sa vie, il ne savait pas encore comment mais dans le silence et l’observation sincère de son retour quotidien de l’école, il ne cessait de penser à sa réussite future.

14 Mars 2023

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