Les boulettes

À l’heure où la nuit tombe, le froid s’immisce. Quand vient le jour, il s’éclipse. Sombre est le jour d’hiver.
Louise jette sur un papier volant des phrases, des bouts de phrases. Elle se lance dans la poésie, la rime facile. Elle froisse le papier, le laisse rouler par terre. Elle prend une autre feuille, une feuille légèrement colorée, un peu blanc cassé. Elle regarde par la fenêtre. Les papillons de nuit virevoltent près du réverbère. Elle a à peine vu le jour, les nuages étaient bas et gris ce matin. La nuit est revenue en fin d’après-midi.
Louise joue avec son stylo. Elle cherche un mot qui pourrait la faire démarrer. Elle visualise des images dans sa tête et tente de les décrire. Elle se dit que c’est comme raconter un rêve : quand on se réveille, le rêve avait un sens, une histoire, un début, un milieu, une fin et quand on veut le raconter ou le poser sur papier, on se rend bien compte que ce n’étaient que des bribes d’images, de sensations, un cliché, un instantané.
Louise griffonne, elle fait des dessins de conversations téléphoniques. Rien ne vient.
La veille, elle avait acheté ce livre à la librairie pour se lancer dans l’écriture, une écriture thérapeutique selon elle.
En ce dimanche après-midi, elle s’est lancée après avoir lu l’introduction. Son élan s’est confronté à la page blanche, au manque d’inspiration. Elle aurait peut-être dû lire plus que l’introduction. Mais déjà là, dès les premières pages, l’auteur proposait un exercice d’écriture, de lâcher-prise d’écriture.
Louise ferme les yeux, espère qu’un mot va lui sauter aux yeux pour faire le premier pas. Sur un papier déjà par terre, elle avait fait défiler des mots : bombe, tombe, ombre, sombre. Elle se lève, se réchauffe du thé vert. Elle boit une gorgée. Elle a évité un certain nombre de boulettes de papier pour revenir s’asseoir au bureau. Elle les compte en buvant son thé. Elle s’arrête de compter à 10, ça la déprime. Elle ramasse les boulettes, les déplie. Elle n’est pas convaincue. Elle reforme la boulette et vise la corbeille. Elle arrive à atteindre sa cible assez souvent. La corbeille n’est pas si loin.
Sur le papier pas encore froissé, elle écrit atteindre son objectif. Quel est-il ? Mettre un panier ? Écrire plus d’une ligne qui amèneraient une autre ligne, une phrase, une autre phrase et encore mieux une histoire.
Elle ne veut pas écrire sur ses états d’âme. Elle veut juste poser des mots, qu’ils soient harmonieux les uns avec les autres, qu’ils créent une forme de poésie non calculée. Elle veut du beau, de l’esthétique, de la lumière, du jaillissement. Elle a sûrement des ambitions trop importantes pour une première fois. On attend tous beaucoup de notre première fois.
Elle respire profondément. L’auteur insiste sur le lâcher-prise, sur la capacité à laisser glisser le crayon, le stylo sur un support papier. Se laisser guider et croire en ces quelques mots qui en sortent.
Louise soupire. Elle froisse le papier, le jette par-dessus son épaule.
Elle reprend, « à l’ombre de la tombe, le chat s’endort ». Son chat se frotte à ses mollets, se cale et ronronne. Il a compris le lâcher-prise ce roux félin. Elle essaie autre chose, « au-dessus de sa tombe, un papillon ». Elle se demande pourquoi aujourd’hui, elle n’écrit que ces mots sombres. Quelqu’un est-il mort aujourd’hui ? Pourquoi est-ce toujours le même thème qui coule ?
Louise froisse le papier. Elle voudrait écrire sur des papillons multicolores qui volent le jour et la nuit. Rien ne vient comme elle voudrait.
Elle aurait mieux fait d’aller au ciné cet après-midi.

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