Patiner

Dans son panier en osier, à côté du journal roulé, 2 oranges et 2 citrons pas pressés de se faire rouler entre des mains.

Tes mains.

Celles qui tranchent, celles qui découpent, qui font tourner le bouton de la centrifugeuse. Tu sais que je ne bois pas d’alcool, alors tu as trouvé cette recette : 2 oranges, 2 citron, des épices, de la chaleur, et me voilà réconfortée. Je te propose une gorgée, et tu m’opposes un regard effrayé :

– Ça se boit, ça ?

– Oui, mon chéri. Et c’est un délice.

Tu bougonnes :

– Décidément, je ne comprendrai jamais les femmes !

Tu te sers un café frappé.

– Comment peux-tu apprécier cette boisson froide en plein hiver ? je demande. Je ne pige vraiment pas le fonctionnement des hommes…

Tu essuies la mousse qui ourle tes lèvres fines, et tu te lèves.

– Prête ?

– Let’s go ! réponds-je avec enthousiasme. Le MoMa est à nous !

Ton visage blêmit.

– Qu’y a-t-il ?

– J’en ai plein le citron des intérieurs de Big Apple ! J’ai besoin d’air !

Je te taquine :

– C’est un problème d’atmosphère ?

C’est raté, tu ne comprends pas la vanne. Je le concède, elle est peut-être minable.

Tu t’exclames :

– Allons patiner en plein air ! Si à Paris on sait monter des patinoires de 3m sur 4 en extérieur, t’imagines, à New-York, on doit glisser sur des étendues aussi vastes que des terrains de foot !

Même si je n’ai plus chaussé de patins depuis mes 10 ans, et ils étaient munis de roulettes, je ne veux pas briser ton élan. Tu m’as raconté ton passé juché sur des rollers. J’accepte de te suivre.

Ton empressement a devancé la fin de ma réflexion. Tu es déjà au pied de l’immeuble, alors que je finis de nouer mon écharpe. Je crois qu’il n’est plus indispensable que je t’accompagne. Avec ou sans moi, tu patineras, c’est certain.

Tu t’es levé ce matin avec des pupilles en lames de patin. J’ai eu peur un instant. Et tes yeux ont retrouvé leur flamme naturelle.

Je pourrais aller au MoMa pendant que tu épateras la galerie avec tes figures sur glace. Mais tu te fius du public. Ce n’est que moi que tu veux éblouir. Je sais aussi qu’à de multiples reprises tu as glissé des « apprendre à tenir sur les patins », insidieusement.

J’aimerais t’accompagner dans un duo digne d’Holiday on Ice, mais je sens l’abîme du ridicule se rapprocher de mes pieds.

J’arrive à ta hauteur, tu prends ma main, et nous cherchons un spot de glace.

– Tu sais où on va ? Je te questionne.

– L’aventure, c’est l’aventure, réponds-tu. Si on aperçoit des gens avec des lacets de patins noués sur l’épaule, on leur demandera.

– Oui, mais comment ? Nous parlons l’américain comme des vaches mexicaines.

Tu bougonnes encore :

– T’es pas drôle !

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