Sans issue favorable

Je crois que le moment où je l’ai détestée le plus, c’est au matin, quand Justine a sorti de son sac à dos, une cafetière italienne et une boite en métal. Elle l’a ouverte et a commencé à compter le nombre cuillères de mouture en disant « C’est un grand cru du Costa Rica qui pousse sur le versant nord, très venteux. La récolte est médiocre, mais le café est magnifique. » Elle a versé l’eau, vissé la cafetière avant de l’installer sur le réchaud. Elle a dit « Tu peux l’allumer ? parce que j’ai peu de ma brûler. » Rapidement, une petite vapeur odorante s’est échappée du bec de la cafetière, pendant qu’elle sortait des petites pâtisseries italiennes d’un sac en plastique.

Elle a versé le café dans sa tasse et croyez-le ou non, il n’y avait qu’une seule tasse dans la cafetière, et des gâteaux que pour elle. On ne pourrait donc pas goûter au café du Costa Rica.

Peut-être faut-il revenir au soir précédent pour que vous compreniez notre exaspération. Quand nous sommes arrivés au lac après notre randonnée, Justine s’est assise sur une pierre. Elle a d’abord sorti une petite collation sans en proposer à personne, puis elle sorti un gros livre. Elle s’est calée sur le sac à dos et a commencé à lire.

Au départ de la randonnée, elle avait refusé de porter sa part du repas, prétextant que son sac était trop lourd. Elle avait ensuite refusé de porter des branches mortes pour le feu, en affirmant « Je ne veux pas abîmer mon sac. » Ensuite, elle n’a pas voulu prêter sa gourde à Alice pour éviter les microbes. Ce troisième refus était le plus compréhensible, mais dans la série, il était énervant.

Alice, Thomas et moi, nous avons commencé à monter les tentes. Une tente pour chaque couple, heureusement, parce que l’ambiance était devenue volcanique. Alice l’aurait sans doute étranglée dans son sommeil si nous avions partagé la même tente.

Alice et moi nous avons terminé rapidement le montage et l’arrimage de notre tente. J’ai aidé Thomas à installer sa tente puisque sa petite amie ne l’aidait pas. Nous avons même déplié les matelas et les sacs de couchage que Thomas avait porté seul. C’était à se demander ce que pouvait contenir le sac de Justine.

Alice et moi, nous sommes allés nous baigner rapidement dans le lac. L’eau était froide mais après la randonnée, on ne refuse rien et l’eau froide vous donne une agréable sensation de frais. Puis Thomas m’a demandé de faire chauffer de l’eau. Il était allé, avec un seau sorti du sac de Justine, chercher de l’eau au torrent qui coulait dans le lac. Vous pourriez ne pas croire la scène suivante et je le comprendrais volontiers si je n’avais pas été moi-même au lac des cordes ce jour-là. Une fois chaude, Thomas a versé l’eau dans le réservoir d’une douche solaire qu’il avait également rempli d’un seau d’eau froide, douche qui était miraculeusement sortie du sac à dos de Justine. Elle avait donc tout prévu.

Thomas s’est installé sur une pierre dans la pente et Justine est sortie de la tente en peignoir de bain, pour aller se doucher. Il tenait le réservoir pendant qu’elle réglait sa douche. Instant insolite où l’intime énerve plus qu’il ne suscite l’envie. Je crois qu’Alice a lâché à ce moment-là, une flopée d’insultes digne du capitaine Haddock.

Le repas a été beaucoup moins joyeux que je ne l’aurais imaginé, surtout quand Justine a déclaré, la bouffe de randonnée, c’est dégueulasse. Nous étions bien contents de notre repas. Normalement, tout est bon en randonnée, si c’est chaud et qu’on a faim.

J’ai allumé un feu avec les branchages que certains avaient portés, car il n’y avait pas d’arbres près du lac. Justine est venue s’allonger avec son matelas et un plaid près du feu, avec son livre, parce que c’était le seul endroit où il y avait de la lumière. J’ai mis à bouillir de l’eau et Alice est partie faire la vaisselle au bord du lac, sans doute aussi pour évacuer une colère qui montait en elle.

Justine a ensuite demandé un autre sachet de tisane et de l’eau chaude, car elle n’aimait pas celle que j’avais faite pour tout le monde. Alice aurait bien versé sa tasse sur sa tête, d’autant plus qu’ensuite elle a refusé de jouer à un jeu avec nous. La soirée a tourné cours, même si nous avons réussi à apprécier les étoiles filantes dans la nuit noire.

Au matin, nous avions presque oublié toutes les aventures quand elle a commencé à parler de son café du Costa Rica et on s’est rendu compte qu’on aurait préféré son absence à sa présence avec nous.

Je ne sais pas si l’amour est aveugle, mais la vanité oui. Sur le trajet du retour, dans la voiture, nous nous sommes disputés avec Alice sur le degré d’antipathie de Justine. Alice défendait le fait que c’était une mascarade pour qu’on la déteste et que Thomas ne veuille plus nous revoir. Alice affirmait qu’elle ne nous aimait pas. Moi je soutenais qu’elle était la nouvelle dans notre groupe et qu’elle voulait affirmer son autorité, sa présence, un peu comme le nouveau dentier de mon grand-père qu’on remarque tout de suite quand on entre dans sa chambre.

Dans l'écriture, il y a une échappatoire à la réalité. Passionné de nouvelles, lecteur de nouvelles du monde entier, j'aime écrire les quotidiens, les petits détails, les fêlures des personnages. Vous retrouverez des nouvelles gagnantes de concours, publiées dans des revues ou coup de coeur sur mon blog d'écriture : www.herissontapageur.net retrouvez moi sur instagram @leherissontapageur

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