L’enfant et les carottes

L’enfant regarde son assiette d’un air absent. Il tapote la table avec sa fourchette, bat une mesure aux sonorités désespérées et attend la semonce aigre qui finira par tomber. Il n’aime pas les carottes cuites – la couleur le dégoûte – ni même les crues d’ailleurs – ça lui fait mal aux dents.

Il attend. Il ne sait même plus ce qu’il attend.

Sa fourchette se trémousse de plus belle. Rien, rien ne pourrait le pousser à avaler une bouchée de ce met odieux.

Sa respiration s’accélère. L’émotion le gagne et des perles de sueur glissent de son front. Il sait qu’elles rouleront jusque dans son assiette, noyant les carottes. « Ça sera dégoûtant » pense-t-il dans un haut le cœur.

« Mange tes carottes, on t’attend ».

Çà y est, c’est tombé. Mais pour lui, la pression continue d’augmenter : il sent leurs regards braqués sur lui tandis qu’il regarde ses carottes.

Il essaye un timide : « je pourrais les manger demain ?».

« C’est maintenant ou c’est la punition ».

Il pense : « mais c’est déjà la punition ».

Tout en espérant que ses parents l’envoient se coucher sans manger, il tente un dernier: « je pourrais peut-être manger le brocoli d’hier ? ». Il reprend sa fourchette plein d’espoir, le vert c’est moins pire que l’orange.

« Tu manges et tu ne discutes plus ».

Il plante sa fourchette dans le grain de sel tombé sur le bord de son assiette. Il pense à l’école, il pense à son copain Germain qui lui a promis des billes, il pense à sa sœur qui aime les carottes.

Oui, il mangera des carottes quand il sera grand et il repose sa fourchette pour attendre ce moment-là.

(texte écrit le 6/12/2020)

Ce contenu a été publié dans Les ateliers d'écriture. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire