Rue des Echoppes

38 rue des Echoppes

Bonjour ma chère Amie,

Je suis revenue à la maison, j’ai retrouvé mon chez moi que j’aime tant. Six mois d’absence, tu te rends compte !

Ma fille a tout organisé pour que je sois le mieux possible, pour que je récupère ma mobilité et ma joie de vivre. Kiné, aide-ménagère etc… Tout m’a manqué depuis ces six mois. Depuis ma chute brutale devant la bibliothèque et cette maudite fracture de la hanche. La suite tu la connais… Je ne suis pas encore sortie de mon immeuble depuis mon retour, il faut que je descende les escaliers sans crainte et pour l’instant je ne suis pas encore prête. Il me faut dominer ma peur. Monter ne me pose pas de problème à part le temps infini que je mets pour gravir les étages marche après marche mais je ne vais pas capituler.

La semaine l’immeuble est très calme et il y règne un silence de cimetière. La vie est dehors dans la rue, et de ma fenêtre, pour l’instant, je la vois continuer sans moi mais je travaille dur à mon rétablissement.

Ce matin au moment où je t’écris un gros pigeon s’est posé sur le rebord de ma fenêtre. Un gros costaud, il fait le guet ne bouge pas. Son cou est très droit, il a un corps musclé et ses longues ailes me font penser qu’il est peut-être un pigeon voyageur. Il ne se mélange pas aux autres pigeons qui picorent sur le trottoir d’en face. Il semble les regarder avec amusement. Comme il n’a rien à partager avec eux il finit par s’envoler. Les autres pigeons sont là tous les jours, Madame Debain la concierge du 41 les nourrit. Le trottoir est toujours encombré de vieilles croutes de pain. Par ailleurs elle trouve important d’avoir un mini jardin, un petit coin de verdure et je la vois arroser ses pétunias accrochés aux volets de sa fenêtre.

J’arrête, on sonne, ce doit être mon kiné.

Ma chère, ce n’était pas le kiné mais ma fille. Depuis mon retour elle a une idée fixe, me faire déménager, quitter mon petit appartement sous les toits alors que je viens juste de le réinvestir. Heureusement elle était pressée mais en partant, c’est toujours le même refrain : « penses y Maman, réfléchis, tu es toute seule au dernier étage ». C’est tout réfléchi pour l’instant je reste !

Il fait beau et la rue est inondée de soleil. La fille du boucher promène son chien en sautant à cloche pied. C’est une drôle de gamine, une blondinette, joyeuse et souriante. Tout le monde l’aime. Je l’entends chanter à tue-tête, elle récite ses tables de multiplication : sept fois six quarante-deux, sept fois neuf…quoi de neuf puis éclate de rire. Bon, le boucher n’a pas l’air de bonne humeur et fait cesser le tour de chant.

Dans l’appartement en face du mien les volets sont fermés. Je ne vois plus la jeune femme qui faisait son jogging tous les jours et qui m’adressait un petit signe en passant. Dois-je m’inquiéter ?

Comme tu le vois la vie est là bien présente et je vais faire en sorte de me la réapproprier, de nouveau participer à cette vie de quartier que j’aime tant.

Je t’écrirai de nouveau la semaine prochaine.

Ta vieille amie.

41 rue des Echoppes

Au 41 de la rue des Echoppes, au quatrième étage, les volets sont baissés depuis plusieurs semaines. Son occupante semble ne pas avoir besoin de lumière, voilà des mois qu’elle s’en passe. Lumière, lumineuse, ce sont les mots dont la qualifiait son amoureux. Il lui disait souvent « tu es la lumière de ma vie » ou « tu es lumineuse ». Ses amis enviaient son énergie et sa joie de vivre. On ne peut plus la qualifier ainsi. Penché au-dessus du bureau, le corps que l’on distingue dans la pénombre est sans âge, légèrement vouté. Elle met en ordre son courrier et prépare son départ. Elle se prénomme Albertine, elle est jeune, mince… trop mince. On peut dire maigre comme suspendue à un fil. Elle quitte aujourd’hui Paris et n’y reviendra plus. « Albertine », qui se souviendra d’elle dans l’immeuble ?

Elle prépare son sac, un petit sac qui a été de tous ses voyages. Il est un peu fatigué et la fermeture se coince souvent. Elle y met deux robes prises au hasard dans sa penderie et quelques sous-vêtements. Lorsqu’on l’observe, on se rend compte de l’effort que lui demande chaque geste. Comme si elle réfléchissait à comment faire avant chaque mouvement.

Albertine ferme son sac, le soupèse. Il est ultra léger et elle se demande si c’est la peine de l’emporter. On lui a conseillé de prévoir plusieurs tenues, comme cela elle pourra avoir le choix. Le choix de quoi au fait ? Le choix ultime elle l’a déjà fait, il lui restera à choisir des détails. Les petits détails qui adoucissent les moments importants : une jolie robe, du maquillage. Après un dernier coup d’œil autour d’elle, elle part emportant pour les poster les dernières lettres écrites à ses proches.

Elle prend le train, de seize heures quarante-cinq pour Zurich.

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2 réponses à Rue des Echoppes

  1. Aliette S dit :

    Quel départ !
    J’en suis toute retournée…
    Qu’a-t-elle donc eu Albertine, pour faire ce choix ?
    En face, sa voisine pleine de vitalité…
    Merci pour ce texte énigmatique
    Aliette

  2. Hélène W dit :

    Qui sait ce qui est arrivé à Albertine…je pense que c’est grave et qu’elle a eu une vie moins chanceuse que la vieille dame du 38 rue des échoppes.

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