Quand l’autre s’en va

Qui était cette inconnue que j’étais devenue ?
Six semaines que Pierre m’avait quittée. Son départ laissait dans ma vie un trou béant qui me donnait le vertige.
Pierre et moi partagions notre vie depuis vingt ans. Nous vivions dans une petite ville de Bretagne. Il était reporter au journal local et je tenais une petite libraire, rue de la Venelle au Beurre.
Notre vie n’avait pas toujours été un long fleuve tranquille.
Pierre était bel homme. Son charme opérait auprès des femmes qui ne le laissaient pas indifférent.
Il avait connu des aventures sans lendemain et je m’en étais accommodée.
J’avais moi-même une vie bien remplie ; je consacrais beaucoup de temps à ma librairie à laquelle j’avais depuis deux ans adjoint un petit salon de thé.
Les années avaient passé si vite !
« Cette fois, je ne reviendrai pas » m’avait-il annoncé un soir, d’un ton glacial qui m’avait figée comme si brutalement la terre s’était arrêtée de tourner.
Il s’était senti obligé de me donner quelques explications. Sa voix parvenait à moi, lointaine.
Il avait rencontré quelqu’un lors de son dernier reportage. Il avait été immédiatement emporté par le charme et l’intelligence d’une jeune femme dont malgré moi, je ne pu nier l’existence quand d’une façon naturelle et déjà familière, il me nomma le prénom.
Nathalie était photographe, brillante, déjà reconnue pour la qualité exceptionnelle de son travail.
Ils étaient tombés fous amoureux et avaient décidé rapidement comme s’ils étaient seuls au monde de s’installer ensemble.
L’histoire était aussi simple que ça !
Les mots de Pierre avaient claqué sur moi comme des déferlantes sur les rochers lors des grandes tempêtes.
J’étais restée muette, abasourdie, sonnée comme un boxeur auquel l’adversaire vient de porter le coup de grâce.

Six semaines que j’étais l’ombre de moi-même. Le temps s’écoulait lentement, même ma chère librairie me pesait comme un écrasant fardeau.
Je fuyais mes amis qui semble t-il s’étaient mis d’accord pour me répéter avec bienveillance « sois patiente, le futur te promet de belles choses ». Blablabla…
Tout ce que je n’avais ni la capacité, ni l’envie d’entendre.

Six semaines de pleurs et de pensées noires qui me laissaient épuisée.
Il était temps de faire le deuil de mes années de vie commune avec Pierre.
Il était temps de sortir de ma léthargie et de revenir dans le monde des vivants.
Faire disparaître l’image de cette affligeante inconnue que me renvoyait, impitoyable mon miroir et retrouver enfin celle de la femme que j’étais.


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