Aux Restos

Comme tous les soirs il se présente aux Restos du Coeur

Pas besoin de badge il connaît son matricule par coeur

Son visage en ces murs est familier

Car ici c’est un peu sa famille

Il pointe ici du lundi au lundi

Premier dans la file malgré la galanterie

Au gala des nécessiteux pas de premier prix

Pas de tapis rouge non plus

On fait comme on peut

 

Postée devant le PC

Je pose la question traditionnelle

« Bonsoir Monsieur, quel est votre numéro ? »

Heureusement je ne parle pas de son adresse

Car il m’adresserait une grimace

Je sais qu’il habite le trottoir d’en face

Mais pour garder la face devant les autres

Je me contente de jouer mon numéro

Et il me parle de l’Arcadie

De cette contrée du Canada

Jacques a dit soyez heureux

Ah, si c’était aussi simple que ça

Moi l’Arcadie j’y connais rien

Alors j’acquiesce et je souris

 

Comme tous les soirs à la table des Restos du Coeur

Les bénévoles s’agitent, les assiettes s’entrechoquent

Le lave-vaisselle ronronne et le café coule à flots

Pour nourrir ce flots de voyageurs cassés

Certains comme lui sont des habitués

Mais au fond soyons honnêtes même après des années

Peut-on vraiment s’habituer ?

 

S’habituer à dépendre d’autrui

S’habituer à se faire remplir son auge

D’un met qu’on n’a pas choisi

Choisir d’être digne devant son plateau

Malgré la vaisselle ébréchée et les tasses dépareillées

Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

Ce soir ce sont des lasagnes

Mais seul le hasard nous dira

Si elles sont mangeables

Alors il serre les dents

Boit de l’eau de la cruche

Accroche son parapluie à la rambarde

Et fait mine de méditer

Malgré une mine affreuse

Et une terrible journée

 

La manche n’était pas fructueuse

Les automobilistes l’ignorent

L’inflation est dans toutes les têtes

Mais il est têtu alors il continue

Ou parce qu’il n’a pas le choix

Il n’a pas vraiment de pot

Alors laissons-lui au moins choisir la saveur de son pot

Yaourt fraise ou bien vanille ?

 

Il se sent comme un roi

Il accueille parfois les nouveaux venus

Ceux qui avaient et qui ont tout perdu

Ils ne sont pas des parvenus

Mais ils sont parvenus jusqu’aux Restos

Ici c’est son repaire

Il repère les nouveaux et tchatche avec les anciens

A la sortie quand il m’a alpagué par mon prénom

Pour me demander l’heure

Je me suis demandée sur le feu

S’il avait lu son histoire dans mes yeux

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