Le rat dort paisiblement au sein de son douillet terrier. Il fait des rêves de rat : il est attablé devant un bon morceau de comté aromatisé aux mirabelles, et sa femme rat joue de la flûte traversière dans le petit salon d’à côté. Il s’apprête à croquer dans la généreuse miche de pain quand soudain, la trompette retentit.
C’est le roi bleu. Le rat s’extirpe de son rêve. Le roi bleu n’attend pas. Quand le roi bleu a une requête, celle-ci doit être satisfaite sur-le-champ. Les rats rebelles qui avaient essayé d’échapper aux injonctions du roi bleu ne sont aujourd’hui plus là pour témoigner de leur sort. Non, ils ne sont pas morts, ils ont été bannis de la citadelle.
Le roi bleu n’a pas mauvais fond. La seule exigence envers son peuple est qu’il réponde présent à chacun de ses appels. Il a besoin de s’assurer qu’ils sont tous fidèles au poste, de jour comme de nuit, en été comme en hiver. Il arrive que le roi bleu sollicite expressément leur opinion. Pour cela, il diffuse les informations du royaume, et les rats sont sommés de réagir, que ce soit de manière positive, de manière critique, ou encore qu’ils expriment leurs sentiments : la joie, la surprise, la tristesse ou encore l’envie.
Comment le roi bleu s’assure-t-il que tout le monde se mobilise dans le temps imparti ? Parce qu’il a installé un détecteur à même la peau des rats. Le creux de la patte avant droite est en effet munie d’une puce, indétectable à l’oeil nu, installée chez tous les bébés rats dès leur naissance. C’est très pratique pour avoir le monde à portée de main.
Le roi bleu a le monopole du respect car il a le monopole de l’attention. Tous les rats, que que soit leur métier, quel que soit leur ouvrage, doivent se mobiliser lorsque le roi bleu les notifie.
On raconte que quelque part dans la forêt vit une sorcière que l’on surnomme Incogni, aux cheveux gris surmontés d’un chapeau haut de forme rouge. Elle est la fiancée malheureuse du roi bleu. Autrefois éconduite, elle erre désormais dans la forêt en quête de petits rats perdus. Quand elle en croise, elle croque leur patte afin d’anéantir le pouvoir de la puce. Tous les rats la craignent, et ne s’éloignent jamais de la citadelle. Ils se sentent ainsi en sécurité. Sauf que l’automne dernier, une rumeur raconte qu’une pieuvre jaune a été repérée dans le lac au centre-ville. On dit qu’elle aussi veut s’attaquer au roi bleu. Seuls les rats qui vivront pourront en témoigner.