Certains racontent que si on se penche au-dessus du lac Mysweip à 17 heures le 98e jour de l’année, on peut voir son avenir. Et si on reste un peu plus longtemps, on peut voir comment on meurt.
Vous seriez étonnés mais il n’y a pas tellement de monde, le 98e jour de l’année. Personne pour risquer un coup d’œil. Imaginez si c’était vrai. Ça pourrait être plus terrifiant que l’inconnu. En cas de mort imminente, la pulsion de vie, tout plaquer pour faire un tour du monde. Arrêter de travailler, prendre du temps pour réfléchir. Essayer de trouver un sens. Se mettre à pleurer. Retourner au lac. Ne rien voir de plus que son reflet désespéré sur une eau grise.
Les jours sont neufs mais si répétitifs. La fatigue avale les projets, on veille tard pour repousser le lendemain. Alors c’est ça, on attend le prochain week-end, les prochaines vacances, on est tristes les dimanche soir et début septembre. La lumière repart et nous laisse dans cette nostalgie mystérieuse des choses qu’on ne vivra plus. Les moments deviennent des souvenirs beaucoup trop vite.
Le 17 mai 1998, j’avais dix ans, je ne savais pas encore qu’on allait gagner la Coupe du Monde. On est partis en vacances en juillet. Pour la première et la dernière fois, mes parents ont bien voulu louer une télé pour regarder la finale. Toute le monde était content, pendant plusieurs semaines. C’était doux.
Le 17 mai 2024, un battement de paupières, j’ai vieilli. J’ai beaucoup de souvenirs et toujours beaucoup de questions. Il paraît qu’il n’est jamais trop tard, mais pour quoi ? Pour que ça ne soit pas dimanche soir tous les soirs comme dit une pub pour des reconversions professionnelles.
Je n’irai pas regarder au-dessus du lac, je déteste qu’on me raconte la fin des films. Et j’ai peur aussi. Je ne veux pas savoir mais j’aimerais qu’on m’envoie des signes. Juste pour savoir si je suis sur la bonne voie. Si j’aurai un jour des étés un peu plus longs, des impressions de week-end en pleine semaine, du temps qui ne ressemble pas à d’habitude. Je vais aller nager dans le lac, et puis on verra bien.