La bougie éclairait la fenêtre, point lumineux ployant sous la fatigue du soir qui tombe. Un tableau barbouillé par la neige qui luisait sous la pleine Lune.
Cette nuit-là, ceux qui se recroquevillaient dans la maison, sous le toit, près du poêle ; ceux-là pouvaient sortir sans craindre l’obscurité. Les milliards de flocons qui drapaient la vallée étaient comme autant de minuscules phares. Ils renvoyaient au ciel l’obligeance impassible de leur astre. Pour lui, ils se faisaient lac, soie, miroir. Et les humains coincés entre la Lune et ses prétendants auraient pu fouler le sol, tracer leurs pas jusqu’à leur chaume sans craindre qu’un esprit de l’ombre ne les suive. Mails ils ne s’aventuraient pas, tout empêtrés des couvertures qu’ils blottissaient contre leurs petits. La nuit brillait de mille diamants et eux s’enfermaient avec leurs bêtes.
Ils n’avaient rien à craindre des ténèbres évanouies.
Ils ne redoutaient plus le froid qui les avait vu naître.
Ils ne tremblaient pas devant la nature et sa beauté insensible.
Mais ils savaient se méfier du temps suspendu. Ils ressentaient, comme leurs bêtes et celles de la forêt. Ils percevaient l’état biaisé des choses. Sans la voir, ils goûtaient la magie qui déforme la réalité. Et cette nuit-là, cette nuit où la neige avait cessé de tomber, la magie saturait la vallée. Elle respirait dans tout le dehors et ceux du dedans se barricadaient. Il fallait survivre à la nuit de solitude partagée, de calme infernal et de douceur mortelle.
Aucun foyer ne devait percer : ni sortir ni rentrer. Ceux qui n’avaient pas anticipé devaient accepter le hasard du renoncement. Depuis tout petit, ils connaissant la Loi.
« Ne pas rentrer quand il est trop tard. Ne pas paraître aux fenêtres des vivants. Ne pas demander pitié. »
Choisir le froid ou ces êtres immondes qui rampent dans les plis trop blancs du manteau neigeux. Ces êtres monstrueux qui rodent derrière le rideau de l’illusion. Alors, pendant que la bougie éclairait la fenêtre blanche, le clan des Tang survivait par sa Loi et les Burles à la vocifération silencieuse prélevaient leur récolte.
Le lendemain, le village sortira de la magie. Ceux du dedans émergeront dans la réalité. Pas de corps à retrouver, pas de tombe à élever. La vie reprendra ses droits. Seule la Loi n’oubliera pas les sacrifiés.