Trois

Elles sont trois. C’est le bordel dans leurs têtes, c’est le bordel dans leurs vies. La vie qui va trop vite, qui va toujours dans le même sens, celui de la vieillesse, celui des rides, celui des petites douleurs. La vie qui va trop vite et qui laisse trop peu de place à la liberté, la vie faite d’obligations, de planification, d’anticipation, pour ne pas être prise de court. C’est le bordel dans leurs vies trop remplies, alors elles ont décidé de faire le vide. Pendant une semaine, le vide. Enfin la liberté, l’égoïsme, le penser pour soi, le penser à soi, le penser à elles trois. Elles auraient aimé que ça soit comme dans les films, on ne fait pas de valise, on prend juste une brosse à dents, on file à l’aéroport et on prend le premier vol pour l’autre bout du monde. Mais elles n’en sont pas à ce niveau de liberté ! Il faut bien s’organiser, caser les gosses, poser des jours de congés, trouver des billets pas trop chers pour une destination qui prête à la rêverie. Il faut de l’eau, la mer ou un lac, il faut du sable, du vrai, pas celui des plages des villes, il faut des branches lourdes de fleurs roses, il faut de la couleur et des odeurs.
Elles se sont décidées pour l’Espagne, quelque part en Andalousie, au bord d’un lac. Il y a plusieurs mois qu’elles se projettent, qu’elles en rêvent, et ça y est, elles y sont. Elles découvrent la maison, un rêve blanc, baigné de soleil. Depuis la terrasse on voit le lac et sa plage de sable fin. On aperçoit des chevaux sauvages, un château abandonné de l’autre côté du lac, la nature luxuriante, partout. Chacune prend sa chambre, ça se fait naturellement, sans besoin de se concerter. De toute façon, elles s’en foutent, elles vont vivre dehors, sur cette terrasse avec vue. C’est le bordel dans leurs vies, mais déjà l’étau se desserre. Elles respirent mieux, elles respirent à plein poumon, lentement, profondément. C’est drôle, elles ont eu le reflexe de cette respiration lente et profonde en même temps, comme si elles démarraient une séance de méditation.
Elles se sourient. L’une d’elles rentre dans la maison et ressort quelques minutes plus tard avec une bouteille de rosé et trois verres. Il est 19h, le soleil rose tombe dans le lac, une mouette passe au-dessus de leurs têtes, il fait une douceur déconcertante pour la saison. Elles trinquent au bordel de leurs vies, à la liberté, à la sororité.

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Une réponse à Trois

  1. Emmanuelle P dit :

    Que ce texte fait du bien, bordel (si tu me permets) ! Une véritable bouffée d’air. Merci !

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