De la philosophie…

« Maman elle a jamais l’temps, jamais. » L’enfant s’est levé, il trépigne, frappe le sol d’un pied énervé . « maman elle dit pas maintenant, j’ai pas l’temps. » Jean ne sait pas comment réagir. Il a accepté de donner quelques cours de philosophie dans cette classe de CE2 près de chez lui. L’institutrice est sa voisine. « Juste quelques concepts simples pour les faire réfléchir, tu vois, le lien, la vie, l’autre, le temps » Jean s’était laissé tenter. Dans la classe une fine ligne de poussière dorée se balance au soleil. Un autre a levé la main « moi Monsieur c’est pareil, mes parents ils sont toujours entrain de regarder leur téléphone » Jean reste muet. La dernière fois ils s’étaient bien amusés et pourtant ils avaient abordé le thème de la finitude, y compris de la vie  et Jean avait été abasourdi par la justesse de leurs réactions et leur capacité à nommer l’inconcevable. Une petite blonde toute frisée à l’air futé avait dit en haussant les épaules « ben oui, on vient  de rien alors on repart à rien »ce qui avait fait réagir une autre gamine « c’est pas vrai ce que dit Alicia, on vient pas de rien, on vient de notre maman » «  oui mais avant…. » Jean était aux anges, un vrai cours de philosophie.

Anne, l’institutrice a ouvert les fenêtres. La ruelle devant l’école envoie des effluves printanières. Elle lui fait signe d’enchaîner. « est-ce qu’on peut plier le temps à sa guise, le façonner, le retenir, le mettre au galop ? »

Quelques regards navrés lui font face. Ils me trouvent idiot se dit Jean. « Mais Monsieur c’est le temps qui commande, tout le monde sait ça » Dans la cour des oiseaux brisent le silence, un peu plus loin des marteaux piqueurs lui font concurrence.

« C’est pas juste » marmonne le gamin en s’asseyant, des larmes plein les yeux. Que peut toute la philosophie contre le chagrin légitime d’un enfant ? Dehors quelques mésanges s’en donnent à cœur joie. Des voitures passent, le temps passe, un vieux chat rôde dans la ruelle. aujourd’hui Jean sait bien qu’il a un peu perdu son horizon. Un chagrin ça vient comment ? un chagrin on en fait quoi ? on le garde ? On le partage ?
La cloche sonne, il faut quitter l’école.

 

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Une réponse à De la philosophie…

  1. Sylvie W dit :

    Voilà: je viens de le relire ce texte qui avait disparu du blog. Il me plait toujours autant et pourtant je ne saurais pas dire pourquoi. Peut être parce qu’il fait la part belle aux enfants et à leur capacité d’expliquer ce que nous adultes ne savons pas ou n’osons pas exprimer. Mais j’aime ce style doux qui raconte, qui explore, qui teinte l’histoire. comme d’habitude: bravo! Sylvie

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