Et Si?

Et si ?

Quelle belle leçon d’optimisme tu m’as laissé. Tu aurais pu regarder en arrière, comparer. Tu avais une vie heureuse, épanouie dans le pays qui t’a vu naitre. Un pays où le soleil brille, la mer est chaude.
Mais…
Avec tes enfants tu as dû fuir. Ton mari t’a suivi quelques mois après, des tracas administratifs.
Mais non, tu as su avancer coûte que coûte, tes enfants, nos vies étaient sauvées et c’était le principal. Qu’importe les objets, meubles abandonnés entre d’autres mains.
Oh ! quelquefois tu regardais avec un peu de nostalgie les photos sépia si vives en émotion. Des photos d’insouciance. Cette insouciance qui vous a aveuglée, vous a empêchée de réaliser qu’il était temps de partir. Vous auriez eu le temps de préparer cet exil. Mais ton mari croyait encore que tout pouvait s’arranger.
Alors, tu lui as insufflé ton énergie ; lui qui avait perdu son travail, sa reconnaissance. Lui qui a dû recommencer « en bas de l’échelle » pour nourrir sa famille. Tu lui rappelais le bonheur d’être tous réunis
Les années ont passées. Nous, tes enfants avons grandis et l’envie de faire revivre ces « flash » de souvenirs s’est amplifiée. Un pas difficile à franchir. Pour vous : mission impossible. J’ai franchi ce pas, une boule au ventre, munie d’adresses que tu m’avais notées.
J’ai pris l’avion pour Alger. A la douane mon cœur s’est mis à battre à tout rompre. Je tends mon passeport au douanier qui, le lit, me regarde et dit : » tu es née à Sidi Bel Abbès ?; Bienvenue chez toi ». Mes muscles se sont détendus immédiatement.
Alger ne fut qu’une escale, toi-même, l’Oranaise, tu ne connaissais pas la ville blanche.
Oran, sa mairie flanquée de deux lions majestueux, m’a accueilli dans l’indifférence. La plage de mon enfance était vide ; le marchand ambulant de pizza, disparu. Les avenues haussmanniennes m’ont paru plus sales, tristes, délabrées. Non, le magasin de maroquinerie de ton père n’existait plus, peut-être que l’appartement de mes grands-parents oui…Impossible de m’y approcher ; là, je n’étais pas la bienvenue. Tant pis !
Sidi Bel Abbès n’a pas changé. Le kiosque à musique trône toujours sur la grande place, face aux vestiges du cinéma qui avait explosé.
Mais comment faire pour retrouver la maison dans laquelle je suis née ? plus aucunes rues ne sont en français…je tourne, un peu égarée lorsqu’un passant vient vers moi :
– Vous semblez chercher une adresse ? ah ! oui…restez là ; je reviens rapidement
Il court et réapparait 5 mn plus tard, souriant, un almanach des PTT de 1958, sous le bras, avec le plan de la ville.
– Suis-moi.
Nous marchons quelques minutes et dans la rue « des oliviers » la maison est là. Il sonne. Un jeune homme et sa mère viennent ouvrir. Je laisse parler mon guide
– Elle est née ici, peut-elle entrer ?
Je suis invitée avec un grand sourire.
Elle est comme dans mes souvenirs : le carrelage bleu et blanc au sol, la petite fontaine dans la pièce à vivre qui coule toujours. Les volets sont mi-clos. Tout est là : les couleurs, la chaleur, le bruit des insectes oui, tout y est…mais dans une maison miniature. Elle me semble rétrécie.
Je souris en pensant : et si cette guerre n’avait pas éclaté….serais-je encore ici ?

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